Quel fut l’un des essais les plus stimulants publiés en France en 2006 ? Assurément La tyrannie de la pénitence, Essai sur le masochisme en Occident.
Pascal Bruckner prolonge certaines conclusions de son précédent essai, Misère de la prospérité (Grasset, 2002), en critiquant quelques penseurs qui ont rendu l’Occident responsable des pires maux de l’histoire. Ainsi, pour Claude Lévi-Strauss, la civilisation occidentale aurait causé la perte de plusieurs cultures « innocentes » ; selon Edgar Morin, la France n’envisage pas suffisamment sa propre culpabilité ; d’après Serge Latouche, dans L’occidentalisation du monde (La Découverte, 2005 [1989]), la mort de l’Occident ne serait qu’une occasion de renouveau : « la condition d’épanouissement de nouveaux mondes ». Tous ces penseurs éminents postulaient que non seulement nous avons eu tort au cours des derniers siècles – ce qui n’est pas faux -, mais que la vraie barbarie a été le seul fait de l’Occident ; l’ensemble des fautifs, peu importe leur provenance, s’en trouvent absous. Dans un monde où se redessinent de nouvelles idéologies et où le terrorisme représente un danger réel, ces attitudes négatives méritent d’être interrogées, comme le fait avec intelligence Pascal Bruckner en parlant de « vague de repentance » exclusive aux pays occidentaux.
Bruckner s’interroge sur la banalisation de l’antisémitisme et les conséquences de l’antiaméricanisme de bon aloi, devenu pour beaucoup d’intellectuels un postulat, un passage obligé : « […] phobie de l’Amérique, notre dernière religion civique en Europe de l’Ouest ». Cet auto-dénigrement généralisé, devenu presque une mode dans certains milieux contestataires, trouve des échos en France, par exemple dans les textes de certains rappeurs, qui condamnent toute la nation sous prétexte de dénoncer des inégalités criantes. Diverses théories pourraient, selon moi, expliquer le fait que nos sociétés ressentent l’hostilité des autres comme une punition bien méritée : identification à l’agresseur – selon la psychologie -, sentiment de culpabilité – d’après la psychanalyse (bien que pour Freud, ce sentiment soit inconscient). L’auteur ne s’aventure pas trop dans les explications, mais réussit admirablement à établir un ensemble de diagnostics. Bilan salutaire et accessible, La tyrannie de la pénitence s’ajoute à la liste des livres essentiels de Pascal Bruckner.