Avec ce recueil, André Roy réinvente le genre biographique en en faisant un objet proprement poétique. Il mêle avec bonheur interrogations esthétiques et existentielles, analyse littéraire, récits factuels, pour nous donner un portrait fragmenté de l’auteur de La métamorphose. Ainsi suit-on pas à pas le déroulement d’une vie, de l’enfance dans la maison du père jusqu’à la mort trop tôt venue, en 1924.
« Déjà cet enfant condamné à être un écrivain / organisant la mort de Dieu. » Dès les premières années, la vie est indissociablement liée à l’œuvre à venir, comme si elle y puisait son origine. C’est l’œuvre dans son idéalité qui déterminera par exemple la nature de l’amour pour Felice, puis Milena, et enfin Dora. Ce « Juif ne parlant pas yiddish / Tchèque n’écrivant qu’en allemand » aurait voulu « s’abonner au présent », mais ne sait vivre qu’ailleurs, hors de ce corps qui paradoxalement ne cesse de le préoccuper. Kafka, nous dit Roy, « [r]efuse d’être de la matière / dont les autres hommes sont faits : / son absolu se trouve dans le voir / du dedans du désir ; / l’angoisse est sa monnaie du jour ».
Les critiques et théoriciens de la littérature ont beaucoup discouru sur la culpabilité de Kafka, culpabilité par rapport au sexe, à la femme, au père. Roy reprend cette idée du péché, mais la tourne positivement, en écrivant que pour Kafka, « un texte sans péché n’est pas un texte ». À la manière de « l’artiste de la faim », l’écrivain apparaît comme le maître d’œuvre d’une poétique complexe qui s’élabore dans la contradiction et la souffrance, et non comme une victime de son art, bien que cet art semble dicter ses lois.
Cette quête d’absolu à travers l’acte d’écrire est d’une certaine façon aussi celle de Roy lui-même : « [É]crire ronge quelque chose qui ne veut pas dire son nom / et que je prends pour son nom ». Le nom de Kafka est donc l’occasion pour le poète d’évoquer une vision de la poésie qui engagerait l’être entier, mais celle-là, comme il l’illustre bien en parlant de la vie de son prédécesseur, orientée vers le mystère de l’autre.
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