« L’amour des premières années agissait comme un maquillage qui se dissipait. » Bernard et Jacinthe forment un couple depuis 30 ans. Ex-libraire retraité, il approche de la soixantaine, tandis que Jacinthe, jeune quinquagénaire, enseigne à l’université.
C’est l’hiver, Bernard ne sort jamais et s’adonne à son activité favorite, la lecture, jusqu’au jour où lui vient le goût d’écrire. D’abord indécis quant au sujet, s’impose à lui celui de la transformation de sa femme, changement qui l’inquiète et l’indispose.
D’où lui vient donc cette coquetterie, inhabituelle chez elle ? Robe rouge, cheveux en liberté, vernis à ongles. Et cette jovialité qui se dégage d’elle ? Sans compter son nouveau dada, la course et les menus protéinés, alors qu’elle n’avait jamais pratiqué de sport. Il fait encore nuit quand elle se lève pour aller courir, jour après jour. Ça ne durera pas, espère-t-il, au point de se réjouir lorsqu’elle se foule une cheville. Qu’elle revienne à son immobilité et à sa tristesse d’antan !
La détermination de Jacinthe a tôt fait d’anéantir le vœu de son conjoint jaloux. Les doléances de Bernard tracent de lui un portrait pitoyable que corrobore une réplique de Jacinthe, énervée par les mauvaises habitudes dont il n’arrive pas à se défaire : alcool, surpoids, laisser-aller, etc. Bref, le portrait d’un homme de routine, immobile et ennuyeux, tandis qu’elle a envie, elle, de découvrir ses limites, de s’alléger en laissant s’évaporer la sueur, image empruntée à la métaphore de la course. L’autoportrait du narrateur s’avère accablant. Se rend-il compte qu’il ne se donne pas le beau rôle, qu’il s’attire tous les blâmes ? Même le chaton, qu’il se procure pour apporter un peu de mouvement et de chaleur en l’absence de Jacinthe, s’en méfie. Seul le marchand de tabac, qui méprise les femmes, le comprend. Il lui conseille de se venger.
Roman d’un réalisme éloquent que cette histoire du naufrage d’un couple. Pas de cris, ni d’assiettes cassées. Place plutôt à de petites mesquineries, à la rancune, au ressentiment, aux silences lourds. Et, surtout, au refus de voir l’autre exister en dehors de soi. Tous ces petits riens qui s’accumulent pour créer un écart infranchissable. C’est ce que suggère l’avant-dernier chapitre, intitulé « Ananké » – du nom de la déesse grecque personnifiant la destinée –, auquel préludait l’épigraphe tirée du Journal extime de Michel Tournier : « Le temps détruit tout. Tout ce que nous aimons. Tous ceux que nous aimons ».
Anne Genest s’avère une autrice talentueuse par son art de raconter avec vivacité des scènes de la vie ordinaire. Son roman, le deuxième, ne laisse pas indifférent.