Personnage phare dans l’œuvre du dramaturge et écrivain montréalais, Hosanna donne enfin de ses nouvelles. Après un long silence, la pièce éponyme ayant été créée en 1973, l’ex-travesti se raconte. Cinquante années se sont écoulées depuis le drame de son humiliation au Coconut Inn : que devient-il ?
Rien. Il n’est rien devenu. Humilié, trahi par tous, même et surtout par son chum Cuirette, Hosanna se terre. Son alter ego Claude Lemieux, coiffeur pour dames sur la Plaza Saint-Hubert, a tout simplement continué à travailler. « Chus retourné tous les jours coiffer pis teindre des têtes à qui j’avais rien à dire. » Nostalgique malgré lui, il deviendra pendant un court instant La Shéhérazade des pauvres et racontera la vie tant des gais que des travestis du Red Light de Montréal, dans les années 1960.
Hosanna a en effet une bonne mémoire. Pendant neuf jours, il se confessera au jeune journaliste venu l’interviewer en pleine pandémie pour le magazine Fugues ; il revivra les beaux et les mauvais jours de ses 20 ans, depuis sa rencontre sur la Main avec la bande de la duchesse de Langeais – les Sandra, Rogère et Mimi de Paris – jusqu’à l’apothéose du spectacle de Guilda à la Place des Arts en 1965. « La fierté de tout ça ! Une gang de travestis de tous les genres, les ratés autant que les parfaits, devant la Place des Arts, qui se faisaient pas insulter ! »
Parfois avec rage, parfois avec tendresse, l’octogénaire usé par la vie et l’alcool se remémore son arrivée à Montréal et les Années folles où, jeune homme ébloui, il fréquentait l’Hawaian Lounge, là où il avait rencontré le beau Cuirette, cette tête heureuse qui n’avait pas cru au sida et qui en mourrait pourtant. « Y a été un des épais qui ont continué à courir la galipote après les premiers avertissements. Le cancer gay, ça le faisait rire. […] C’tait pas un conspirationniste, Cuirette, c’tait juste un épais… »
À l’époque, les fausses Belinda Lee de la rue Sainte-Catherine ne s’appelaient pas des drag queens et on ne les voyait pas à la télévision. Le Village gay n’existait pas encore et on ne parlait pas de LGBTQIA+. La ligne entre la petite pègre montréalaise et le monde factice de ces hommes qui aimaient se déguiser en femmes, pour le plaisir ou pour l’argent, était mince. Quelquefois, de petits voyous de la Main abusaient de leur pouvoir et jouaient du couteau pour en imposer. Ainsi était mort Édouard, alias La Duchesse, qui avait fait tomber tant de tabous, assassiné dans un stationnement de la rue Saint-Laurent. « Avant elle, on avait honte ; après elle, on a osé foncer. »
Hosanna, qui avait aussi été l’un des premiers à lutter pour avoir le droit d’exister, Hosanna, lui, s’était écrasé après la trahison de ses soi-disant amis de la Main et de leur complice, Cuirette, qui partageait sa vie. « J’me sus jamais relevé ! J’pensais que j’étais courageux, que j’étais fort, que je pouvais tout surmonter, mais chus resté dans mon trou. » Pauvre Hosanna.