Alain Robbe-Grillet n’avait pas publié de roman proprement dit depuis vingt ans, si l’on exclut les trois volumes d’autobiographie romanesque qu’il avait fait paraître entre 1985 et 1994. Dans cette perspective peut-être, le nouveau roman de l’auteur presque octogénaire se donne à lire comme une sorte de testament littéraire. D’autant plus que La reprise contient la majorité des thèmes des romans précédents de l’auteur, auxquels par ailleurs il fait délibérément allusion, me semble-t-il, que ce soit par le choix du vocabulaire ou par la description d’une situation (Les gommes, en particulier). Jusqu’à l’histoire de La reprise – histoire d’un parricide en 1949 – qui paraît nous ramener au premier roman de l’auteur (Un régicide, qui date de 1949), comme si elle invitait le lecteur à se rappeler, avec l’auteur, le parcours d’une des œuvres les plus importantes de la deuxième moitié du XXe siècle.
Il s’agit donc d’un roman particulièrement ambitieux, qui ne peut pas mieux porter son titre, non seulement du reste parce qu’il est la reprise de l’ensemble de l’œuvre, mais parce que le motif de la reprise structure l’écriture même de chacun des romans d’Alain Robbe-Grillet. D’autre part, si « reprise » il y a, c’est aussi parce que, inévitablement, tout roman (pas seulement ceux d’Alain Robbe-Grillet) raconte à sa façon essentiellement une seule et même chose : l’histoire de « cette famille maudite » de Thèbes, « une rivalité féroce à caractère ouvertement Sdipien ». Vers la fin de La reprise, le principal narrateur comprend que « les anciens mots toujours déjà prononcés se répètent, racontant toujours la même vieille histoire de siècle en siècle, reprise une fois de plus, et toujours nouvelle […] ». De main de maître, Alain Robbe-Grillet se lance une fois de plus dans cette histoire compliquée, qu’il transpose à Berlin en 1949 durant l’occupation alliée, où la mission d’Henri Robin, agent secret, prend la forme personnelle d’une quête identitaire qui le conduit au bord de la folie. Le roman, qui fait savamment alterner les voix narratives, reproduit le mouvement même de cette folie. La réussite est complète sur tous les plans.