Une fête costumée à Paris, où le déguisement de chacun doit évoquer une station de métro. Amusant, jusqu’à ce qu’un des invités ne se tue en tombant du balcon du quatrième étage. Dans ce thriller philosophique, le fantastique côtoie la folie et l’implacabilité du destin voisine la recherche du salut.
Dans La puissance des ombres, Sylvie Germain privilégie en effet le mélange des genres. L’écrivaine du pardon et de la rédemption, née en 1954 à Châteauroux, a publié plus de 35 titres, romans et essais, presque tous marqués par une interrogation sur le sens des souffrances humaines. En exergue, elle cite cette fois Pascal, avec ô combien de pertinence : « Quelle chimère est-ce donc que l’homme, quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos […], gloire et rebut de l’univers ! »
Dès les premières pages, la romancière brouille les cartes. Elle s’amuse à présenter ses personnages plus ou moins habilement travestis, dans lesquels accoutrements le lecteur doit reconnaître l’une des 300 stations du métro de Paris : « Toi, là, Florian à tronche d’ibis, t’es sûrement Pyramides, toi Alexis l’éclopé, t’es Invalides ». Ou encore : « Hé, Idris en chef des Arvernes à la bataille d’Alésia. T’as belle allure ». La mise en place de l’intrigue est longue et il est permis de douter de son utilité.
Suit le meurtre – enfin, les meurtres –, puisqu’un autre drame aura lieu quelques mois après la chute fatale du balcon au cours de la soirée costumée, quand un deuxième invité de la fête se rompra le cou en déboulant des escaliers. « Un accident encore, et aussi difficile à comprendre que le premier, des zones d’ombre demeurent. » Alors, triste hasard ou crimes ?
Plus l’histoire se déroule, plus la question se pose : existe-t-il au monde un traumatisme assez grand pour justifier un assassinat ? Celui qui, à la fête costumée, représentait la publicité « Dubo, Dubon, Dubonnet », largement diffusée à l’époque, pourrait-il y répondre ? N’avait-il pas fortement réagi lorsque les invités costumés avaient parlé de Sade – celui qui « a réduit l’âme humaine à néant » –, une réflexion qui avait été suivie d’une remarque plutôt convenue : « Plus le nombre [des proies des tueurs] est important, plus les victimes restent anonymes… » ? Sylvain Leuseudre pensait-il que les blessures psychiques subies dans son enfance pouvaient l’absoudre de ses crimes ?
Les ombres peuvent être vraiment très puissantes.
L’écrivaine a choisi de montrer à ses lecteurs le cheminement et la détresse d’un assassin. Elle a voulu plonger dans les tréfonds de l’âme tourmentée d’un meurtrier. « Il était un tel rien, un moins-que-rien même, affolé de honte, de culpabilité, mais sans personne, ni humaine ni divine, sur qui s’en décharger ou du moins prendre appui. Un pauvre rien sans courage et dénué d’espérance », raconte le quasi-reclus,l’homme prisonnier d’un passé tragique, l’écorché vif. Sylvain Leuseudre peut-il prétendre à la rémission ?