Au lieu de proposer une biographie d’une chanteuse pratiquement oubliée depuis un demi-siècle, ou de retranscrire des entretiens avec une dame vénérable, aujourd’hui presque centenaire, pourquoi ne pas écrire un roman basé sur des faits réels pour raconter littérairement l’histoire invraisemblable d’une vedette québécoise ?
En épigraphe, La princesse du rythme est dédié à « la vraie » Guylaine Guy. La chanteuse connaîtra la gloire, des déboires, des désillusions et puis l’oubli. En effet, au cours des années 1950, peu après les succès internationaux d’Alys Robi, une autre chanteuse québécoise, Guylaine Guy, remporte un double succès, à Montréal, puis à Paris, où elle vit plusieurs années. Devenue la protégée du grand Charles Trenet (1913-2001), considéré encore de nos jours comme « le père de la chanson française », la jeune Guylaine Guy est alors surnommée « la Trenette » ; on la présente même comme « la fiancée de Trenet », ce qui était pour le moins inexact. De Trenet, son mentor, la chanteuse enregistre « J’ai mordu dans le fruit » et, surtout, « Où sont-ils donc ? », chanson gaie qui sera son « porte-bonheur ». Trenet la fait même monter sur scène durant l’un de ses tours de chant. Ultime consécration : Guylaine Guy sera invitée à chanter « C’est si bon » aux côtés du légendaire Louis Armstrong, à l’Olympia, un jour de 1955.
Par la suite, ses tournées l’amèneront de la Turquie au Brésil, en passant par New York. Au cinéma, elle jouera dans une adaptation de la pièce Huit femmes, La nuit des suspectes, premier long métrage de Víctor Merenda, aujourd’hui introuvable. La jeune chanteuse auditionnera peu après pour le personnage de Lola, dans le long métrage éponyme de Jacques Demy ; mais Michel Legrand trouvera qu’elle a déjà trop d’expérience pour interpréter ce rôle d’une fille qui ne savait pas vraiment chanter.
Le style de Catherine Genest est vivant, fébrile, parfois excitant ; elle écrit pour des lectrices du XXIe siècle, avec ses allusions aux droits des femmes dans la France des années 1950, à la situation favorable des Noirs américains à Saint-Germain-des-Prés, mais aussi à la drogue consommée banalement par certains jazzmen américains de passage à Paris. Cela se remarque principalement dans le chapitre racontant la rencontre inopinée de Guylaine Guy avec Louis Armstrong, dans la Ville Lumière. Certains dialogues sembleront toutefois excessivement empreints de l’argot parisien, même dans les exclamations de la Montréalaise : « Putain, c’était Louis Armstrong ! »
Les premières pages sont particulièrement intéressantes : dès le début, on comprend que Guylaine Guy sera la narratrice et que tout ce roman se déroulera à la première personne. Avec cet ouvrage, Catherine Genest nous ouvre la porte d’un univers méconnu, mais fascinant, à (re)découvrir : celui d’une artiste injustement oubliée que l’on célébrerait partout, sauf ici. Mais afin de lui rendre pleinement justice, il aurait fallu placer le nom de la chanteuse dans le titre ou, du moins, dans le sous-titre de ce roman auquel Guylaine Guy donne toute sa substance.