Les ouvrages théoriques sur le statut de la photographie ont connu un regain important, surtout durant les années 1970, avec les travaux de Gisèle Freund (Photographie et société, 1974), Alain Jaubert (Le commissariat aux archives, 1986) ou plus récemment Marie-José Mondzain (Image, icône, économie, Les sources byzantines de l’imaginaire contemporain, 1996). Deux ouvrages récents sur le caractère trompeur de la photographie utilisent deux cadres théoriques distincts. Dans La photographie malgré l’image, l’historien de l’art Jean Lauzon inscrit l’étude de la photographie dans une perspective résolument sémiotique, à la suite des travaux de Philippe Dubois. Son étude très dense se concentre sur certaines photos équivoques, comme « Le Sauteur à la perche » (1936) de l’artiste russe Alexander Rodchenko. Les analyses audacieuses proposées par Jean Lauzon sont exigeantes pour le lecteur non initié, mais sûrement originales pour tout sémioticien aguerri. Dans son chapitre le plus polémique, intitulé « Mise à l’épreuve du modèle » et consacré au photomontage, l’auteur conteste les démonstrations magistrales d’Alain Jaubert sur les photos falsifiées pour affirmer au contraire « qu’il n’y a pas à proprement parler de photographies truquées ».
L’étude intitulée Désinformations par l’image du romancier Vladimir Volkoff propose une analyse plus politisée sur l’image moderne, en comparant plusieurs versions de photos retouchées ou falsifiées, visant à faire disparaître un élément ou un personnage gênant. Dans certains cas, le recadrage de telle photo de groupe élimine du cadre un ancien dignitaire communiste, limogé depuis. Des quotidiens occidentaux ont employé d’autres manœuvres du même ordre. Le roi d’Angleterre vient de mourir et on n’a pas de photo du défunt ? Qu’importe ! On réutilise en gros plan une image ancienne de celui-ci avec les yeux temporairement fermés ! Ces modifications et ces manipulations peuvent prendre un sens idéologique et servir de moyen de propagande politique, comme le démontre admirablement le plus récent ouvrage de Vladimir Volkoff, qui avait déjà publié plusieurs études et même un roman (Le montage, 1982) sur le thème de la désinformation. Moins élaboré que le précédent du point de vue théorique, ce nouveau livre fascinera toutefois par ses images méticuleusement choisies, parfois insoutenables, souvent éloquentes, sur les possibles détournements du sens de certains faits historiques. Sans se citer mutuellement, les deux auteurs s’entendent néanmoins pour considérer le statut de l’image photographique comme pouvant être – désormais – relatif et incertain. Mais le meilleur ouvrage sur les photos retouchées demeure encore Le commissariat aux archives, Les photos qui falsifient l’histoire (Bernard Barrault, 1986), du cinéaste Alain Jaubert.