« J’ai du mal [….] à pardonner aux Occidentaux, je vous l’avoue, votre soutien incessant à Ceauşescu. » Parler de la Roumaine Nadia Comăneci sans dénoncer le dictateur Nicolae Ceauşescu, tué brutalement le jour de Noël 1989, est impossible. Comme il est impossible de raconter la vie de la célèbre gymnaste sans évoquer son entraîneur Béla Károlyi et les Jeux olympiques de Montréal en 1976. Lola Lafon aborde tous ces thèmes – sans filet, d’ailleurs – dans La petite communiste qui ne souriait jamais, une « fiction rêvée », qui revisite le parcours de la jeune prodige de 1969 à 1990.
Comăneci a remporté cinq médailles d’or aux Jeux olympiques et elle est la première gymnaste à avoir obtenu la note parfaite de dix. On dit que cette adolescente d’exception était « douloureusement adorable, insupportablement trop mignonne ». Nadia Comăneci est-elle une sportive mythique, une enfant martyre et manipulée, ou une star déchue ?
Lafon privilégie une approche large, à 360 degrés, pour plonger dans la vie de sa contemporaine et compatriote, car l’auteure née en France en 1973, d’une mère roumaine, a aussi vécu à Bucarest, où elle retourne régulièrement. Le récit est habile. Lafon n’a jamais rencontré Comăneci, ne lui a jamais parlé, mais celle-ci, bien que totalement inventée, est une interlocutrice privilégiée qui répond aux courriels et réagit aux chapitres que l’écrivaine lui envoie. On y croit, vraiment. « Vous vous êtes documentée […], seulement, c’est analysé a posteriori. Moi, je l’ai vécu. Et c’était différent de ce que vous décrivez. »
Nadia n’a que sept ans lorsqu’elle entre à l’école de l’entraîneur Béla Károlyi et enchaîne les succès jusqu’à ses célèbres dix sur dix, à Montréal, sept ans plus tard. « Est-ce qu’on peut dire qu’elle prend le temps. Ou qu’elle s’empare de l’air. Ou qu’elle intime au mouvement de se plier à elle. »
Les choses se gâtent plus tard, lorsqu’elle devient une athlète dépassée par les événements, vraisemblable otage du fils Ceauşescu avec qui elle aurait eu « une idylle forcée […]. Qu’est-ce qu’une idylle forcée ? » En 1989, Nadia s’enfuira aux États-Unis, où elle mariera un Américain. Où commence son innocence, où finit sa part de responsabilité ? « Montréal a ‘marketé’ l’image d’une fillette qui surgit de nulle part, alors qu’en réalité, vous gagniez tout depuis deux ans. […] À travers vous, le pouvoir faisait la promotion d’un système. La réussite totale du régime communiste. […] (Rire agacé). »
Lola Lafon, musicienne, chanteuse et auteure engagée, anarchiste et féministe, signe ici son quatrième ouvrage. Son originale biographie – ou document historique – a reçu cette année le prix des lecteurs de l’Express-BFMTV et celui de la Closerie des Lilas, qui couronne une romancière de langue française.