Nous avons eu l’occasion, dans les pages de Nuit blanche, de traiter des partisans (Francis Dupuis-Déri) et des opposants (Antonius et Baillargeon, Nantel) en ce qui concerne les discours associés au wokisme. L’auteur s’inscrit plutôt parmi les critiques.
Santarossa préfère parler de « néoprogressisme contemporain ». D’après lui, le discours woke relève du militantisme et, de ce fait, il ne peut porter seul la vérité. Il doit être soumis au principe de réfutabilité (Karl Popper), soit à l’épreuve des contre-arguments. Les idées du wokisme sont sujettes à débats et à interprétations divergentes. Elles ne sont pas des évidences perçues par des « bons » qui échapperaient à des « méchants » se comportant en aveugles.
Au lieu de s’attaquer à des épiphénomènes (des déclarations spontanées douteuses, des prises de position radicales glanées ici et là), Santarossa dirige ses critiques vers certains qui ont pensé le mouvement à travers publications et documentaires. Ainsi, ses principales cibles sont : Judith Lussier, qui a fait paraître en 2019 On peut plus rien dire ; Briser le code, documentaire de Nicolas Houde-Sauvé, narré par Fabrice Vil et sorti en 2020 ; Kuei, je te salue. Conversation sur le racisme, de Deni Ellis Béchard et Natasha Kanapé Fontaine, livre d’échanges paru en 2020. Chacune de ces œuvres fera l’objet d’un chapitre d’analyse critique et, ma foi, fort rigoureuse. Santarossa y relève des concepts flous, des incohérences, des contradictions.
L’auteur observe que tout ce beau monde fait constamment appel au dialogue comme nécessaire facteur de changement. Or, et citations à l’appui, dans les faits, un réel dialogue avec des opposants politiques n’est pas vraiment envisagé, sauf le dialogue entre déjà convaincus. Pour le néoprogressisme contemporain, il n’y a pas de dialogue possible à entreprendre avec des gens « dans l’erreur ». Ainsi, le wokisme cherche-t-il davantage à soumettre qu’à convaincre.
Une autre critique constante revenant sous la plume de l’auteur est que ces militants woke se considèrent comme appartenant à la marge. En ce sens, ils seraient confrontés à une pensée dominante qui tente plus ou moins subtilement de les faire taire. Santarossa n’a pas trop de difficulté à montrer que ces idées sont plutôt bien accueillies dans les grandes institutions et les universités (voir leurs politiques sur l’équité, la diversité ou l’inclusion). Les œuvres de ces auteurs furent jugées assez positivement dans les médias. Ainsi, Lussier a-t-elle été reçue à Tout le monde en parle et à l’émission radiophonique Plus on est de fous, plus on lit ! Son livre a fait l’objet de recensions au ton dithyrambique. Il s’est retrouvé sur la liste préliminaire du Prix des libraires. Il en va de même pour le livre Kuei, je te salue, qui a connu des critiques fort positives. Et rebelote pour le documentaire Briser le code, dont on se sert même dans les écoles pour conscientiser les jeunes, alors que des questions critiques ont été en vain adressées au scénariste. Par exemple, presque toutes les personnes qui sont interrogées dans ce documentaire sont des militantes antiracistes. Ce n’est sans doute pas si grave, mais pourquoi l’avoir passé sous silence ? Pourquoi avoir aussi passé sous silence tous les efforts concrets mis par la société québécoise pour contrer le racisme réel, toujours existant ? Pourquoi laisser entendre que l’adaptation des nouveaux arrivants à la société québécoise contient quelque chose d’aliénant, incluant même l’apprentissage du français ? Et que signifie au juste ce fameux « code », autre concept flou s’il en est un ? Et nulle part Vil ne déplore l’adoption du code culturel américain, vers lequel pourtant quantité de jeunes se ruent. Il n’y aurait que le code québécois qui soit liberticide.
Si ce n’est pas déjà fait, La pensée woke suscitera sûrement une réplique.