Hockey, téléphonie cellulaire et formule 1, oui, mais la Finlande a aussi conquis le monde avec ses artistes, dont l’immense réalisateur Aki Kaurismäki.
L’écrivain Juhani Karila, quant à lui, nous propulse dans le Grand Nord finlandais et nous séduit avec une fable moderne peuplée de fantômes et d’êtres maléfiques.
La pêche au petit brochet est le premier et délicieux roman de Juhani Karila, né en Laponie en 1985, aujourd’hui reconnu en Finlande où il a remporté de nombreux prix littéraires. Cette partie de pêche est toute particulière, puisqu’il s’agit d’attraper le seul et unique brochet de l’Étang du Pieu, gardé par un cruel génie des eaux. La protagoniste Elina Ylijaako ne dispose que de trois jours et trois nuits pour accomplir sa quête, afin de rompre le sort qui, selon elle, risque sinon de bientôt l’anéantir, ainsi que son ancien amant. Bref, une pêche bizarroïde qui est aussi une histoire d’amour et de fidélité, et malheureusement de trahison.
« Au-delà du cercle polaire, Elina commença à jeter des coups d’œil dans les rétroviseurs et à scruter les abords de la route. » L’action a lieu au nord du nord, là où les étés sont bien courts et où prolifèrent les génies, bons ou mauvais, car l’étang n’est pas situé dans l’exotique Laponie des Saamis, mais plutôt dans « l’inepte Laponie orientale. Marais et moustiques. Qui n’intéresse personne ».
En pleine canicule, tout le village, les vivants, les fantômes et les sorciers offriront aide et conseils à Elina qui aura bien du mal à garder la tête froide et à maintenir le cap sur son objectif. Elle trouvera sur son chemin d’autres êtres surnaturels, teignons, floches et ondins, lesquels sont « entièrement nu[s] et lisse[s] comme un dauphin, aussi gris que l’animal. […] splendide[s] et terrible[s], un jouet venu du futur ». Le retour d’Elina dans son village natal de Vuopio sera parsemé d’embûches, d’autant plus qu’elle est poursuivie par l’inspectrice de police Janatuinen, montée du sud pour l’arrêter, convaincue qu’elle est de tenir une meurtrière qui aurait en outre blessé son collègue. « Personne ne t’aime, ici, cria quelqu’un. Moi non plus, je ne vous aime pas, rétorqua Janatuinen. »
Bien que la magie soit fort répandue dans le village, l’alcool et la violence n’en sont malheureusement pas exclus et compliquent les relations déjà assez ambiguës, merci, de tout ce petit monde. Il faut dire que les sorciers et chamans sont de mauvaise foi et vindicatifs. Même la nature est hostile. « Lorsque la température montait, les croquemitaines des tourbières progressaient avec plus de célérité qu’à l’ordinaire. » Comme le temps de la quête est compté et les obstacles nombreux, non seulement les deux jeunes femmes décident d’unir leurs forces pour combattre les démons, mais elles s’allient aux fantaisistes Hibou et Olli-Mangeclous, grâce à qui elles trouveront finalement paix et sérénité.
Si le finnois et le suédois sont les langues officielles de la Finlande, on y parle aussi le lapon et on dit que l’auteur Karila en aurait fait la langue parlée de plusieurs êtres magiques. Il semble que la traductrice Claire Saint-Germain ait choisi de distinguer le lapon du finnois en utilisant un vieux français un brin étrange : « Comment qu’une bestiole pareille sait où les yeux nous sont ? » Sûrement un exercice de traduction difficile, qui complique un peu la lecture du récit, lequel n’en est pas moins tout à fait charmant.