Avec La mort ne tue personne, France Ducasse, auteure de six romans depuis 1983, se tourne vers la nouvelle. Le contresens énoncé dans le titre ne signifie pas un déni de la mortalité ni de l’adage : « La mort n’oublie personne ». Il sert plutôt de prétexte à un hymne à la vie, naïf et jovial. Certes, la Faucheuse n’omet pas d’emporter ou d’accabler les personnages. À travers la disparition d’une sœur, d’un père ou d’un amoureux, la mort tend même à survenir de façon tragique et bouleversante. Mais le malheur n’est pas un précipice ; les êtres éplorés ne s’enfoncent pas « aux profondeurs du Gouffre, immuable cercueil », selon les mots de Nelligan dans « Le vaisseau d’or », poème auquel fait allusion le texte. La souffrance a pour vertu de cimenter les destinées individuelles, comme celles des gardiennes d’enfant dans « Île-mère et ses enfants », revenues des quatre coins du monde pour raviver le joyeux branle-bas d’une famille de l’île d’Orléans. Dans « Dao », les parents d’un jeune Vietnamien exilé au Canada retrouvent un fils après quinze ans de séparation, mais en pleurant la perte de deux filles. De graves intempéries, dans « Mon moine », permettent à une communauté de moines, devenus secouristes sous le joug des circonstances, de se réconcilier avec la douceur de vivre. Dans « Éloi et Bérangère », un couple de voyageurs rencontre à Terre-Neuve un garde-côte à la retraite pour qui le pendule du temps s’est arrêté, tandis que le fantôme de la dernière des Béothuks reprend vie. Ces exemples traduisent quel souci de dédramatisation anime France Ducasse. Dès l’incipit du texte, à l’intérieur d’une narration extérieure aux histoires qui encadrent chaque partie du recueil, le ton est donné : la mort est un sujet comestible, que l’écrivaine renomme à sa guise « Mortadelle », de la même façon que l’image de la « femme morte » se mue en celle de la « femme forte ». Au fond, l’auteure s’intéresse surtout à la poésie du mystère de la mort, d’où la nébulosité de certains passages, d’une lecture plus difficile. France Ducasse privilégie le regard de l’enfant pour son aisance à entremêler les eaux du réel et du fabuleux. L’épisode d’« Un mort à la dérive » constitue peut-être, à cet égard, l’un des plus réussis : des enfants au côté gavroche jouent à autopsier le cadavre boursouflé d’un noyé.
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