Les livres sur le pouvoir vertigineux de l’argent dans notre monde se multiplient depuis un certain temps. Toutefois, on a affaire ici à un auteur à part qui ne se contente pas de décrire le comportement aveugle et écrasant des « méchants néolibéraux », mais nous montre aussi comment nous-mêmes, individuellement, nous embrassons sans trop nous en rendre compte la religion de l’argent et toutes ses contraintes, peut-être encore plus grandes que celles de la religion que nous avons jetée par-dessus bord au nom de la liberté.
Nous mettant devant ces effets pervers, Denis Blondin appelle de ses vœux, voire prophétise, « la mort de l’argent » et pour le lecteur étonné, sinon affolé, pousse la courtoisie jusqu’à décrire les sociétés humaines qui vivent – ou ont déjà vécu – sans argent. Surprise : il ne s’agit pas non plus de troc. Il nous faut un bon effort pour imaginer une société fondée simplement sur le don et le « contre-don ». Pourtant, imaginons aussi tous les tracas dont cette organisation nous soulagerait, et sachons que d’autres humains l’ont déjà pratiquée et la pratiquent encore. Et des humains qui ne sont pas plus « primitifs » que nous. Cette conception erronée d’une « évolution » de l’Occidental est un autre leurre que Denis Blondin aime à démonter, de même que l’idée que le « troisième monde » aurait besoin qu’on l’« aide » en lui envoyant – encore – de l’argent alors qu’il faudrait plutôt, simplement, lever les entraves qu’on oppose à son épanouissement.
Ce qui fait toute la richesse de ce livre aux facettes multiples (car la richesse, faut-il le rappeler, n’est pas obligatoirement monétaire), ce sont en quelque sorte des sauts en hauteur que seul un anthropologue peut nous faire faire et qui nous permettent de jeter un regard neuf sur notre propre société et notre condition d’Occidentaux. Le tout est agrémenté d’un humour intelligent illustrant bien la personnalité de l’auteur, qui sait dénoncer les excès du pouvoir et de la domination sans tomber dans le discours moralisateur ni (trop) utopique.