S’agit-il d’un roman ? La couverture l’affirme, mais il est permis d’y voir l’alibi habituel. L’œuvre dite de fiction comporte de moindres risques au chapitre des poursuites et des dénégations. Tortueuse à souhait, l’entrée en matière accentue l’équivoque : ni la vendeuse du manuscrit ni son acheteur ne garantissent l’authenticité du document. Ainsi fragilisés et éloignés de la mêlée, les « souvenirs attribués à Clyde Tolson » peuvent être de la plume de l’adjoint et amant d’Edgar Hoover ou l’œuvre d’un faussaire. Quant à l’auteur, Marc Dugain, il se refuse à départager invention et recherche historique. Pourquoi ne serait-il pas ce faussaire ?
Malgré ce brouillard épaissi par des calculs qu’aurait appréciés l’inamovible patron du FBI, le récit est savoureux. Il témoigne du rôle énorme et excessif assumé par Hoover pendant les décennies de sa gouvernance. Par ses soins, les États-Unis se sont dressés contre un risque communiste poreux. « Ne pas définir de limite était pour nous le seul moyen de faire entrer qui nous souhaitions dans ce spectre moralisateur et de marginaliser les récalcitrants. Le communisme, c’était tout ce qui ne respectait pas la croyance en un Dieu unique et blanc veillant sur un État garant de la libre entreprise… » Le bouquin affirme, par contre, l’existence d’un pacte de coexistence pacifique entre le crime organisé et le FBI de Hoover : chacun des deux en savait trop long sur l’adversaire pour que s’engage une lutte à finir. La réalité ressembla passablement à ce que Dugain présente comme un « documentaire fiction ». À ceci près que l’orientation globale du récit enlève au clan Kennedy tout droit à la moindre sympathie, mais ne corrobore qu’en partie le titre qu’Anthony Summers a donné à sa propre biographie d’Edgar Hoover : Le plus grand salaud d’Amérique. On s’étonnera d’ailleurs que les attaques massives de James Ellroy contre l’ensemble de ces personnages ne soient même pas mentionnées dans la bibliographie. Comme le lecteur n’est jamais certain de la nature de ce qu’il lit, mieux vaut apprécier le côté pétillant du récit vivant que de poser des questions sans avenir. Plus de vie, toutefois, que de style. À preuve, des phases comme celle-ci : « Edgar fut surpris de recevoir une lettre d’un boxeur à la retraite, Gene Tunney, qu’Edgar était venu admirer détruire son adversaire ».