Ce premier roman d’Éric Rohmer fut rédigé en 1944 et publié dans la collection « Blanche » de la NRF, en 1946, sous le pseudonyme de Gilbert Cordier. Ce livre, alors intitulé Élisabeth, était passé inaperçu ; d’ailleurs, très peu de bibliographies consacrées à Rohmer le mentionnaient. La maison d’Élisabeth paraît ici dans son intégralité, sans aucune retouche, et est suivi d’un entretien récent et très instructif dans lequel le réalisateur âgé de 86 ans situe brièvement les influences littéraires de sa jeunesse, citant principalement William Faulkner et John Dos Passos. Cette « maison » d’Élisabeth désigne en fait l’entourage immédiat du personnage, composé de quelques amis réunis pour la baignade, au cours d’un été. Le récit est presque minimaliste et tout en retenue : on réfléchit à voix haute, on bavarde, on lit, on mange, on flirte ; on cultive ses amitiés. Les personnages féminins abondent et contrastent avec le côté rustre des jeunes hommes.
Roman naturaliste, La maison d’Élisabeth raconte, comme beaucoup de films subséquents du futur cinéaste (pensons à La femme de l’aviateur, Le rayon vert, L’ami de mon amie), les jeux de regards et de séduction au sein d’un groupe de jeunes gens un peu superficiels. Au passage, quelques phrases proposent déjà le programme de tout un univers romantique, encore à venir : « Claire fit tomber la cendre de sa cigarette et regarda Schwarz : elle baissa tout de suite les yeux et releva un peu son genou ».
Rétrospectivement, le style de ce roman introspectif annonce clairement le cycle des « Contes moraux », qui furent d’abord rédigés sous forme de courts récits avant de devenir au cours des années 1960 et 1970 une série de films marquants, d’une subtile sensualité (La collectionneuse, L’amour l’après-midi). En lisant ce livre, on pense aussi au récit estival d’Une partie de campagne, cette nouvelle lumineuse de Guy de Maupassant qui fut mise en images par Jean Renoir, le maître qu’Éric Rohmer admirait inconditionnellement.
Dans La maison d’Élisabeth, les descriptions sont minutieuses et les dialogues abondent. Il en faut apprécier les nuances, le recours au non-dit, le raffinement de certains passages, les ruptures de ton de la première partie. Néanmoins, cette œuvre mineure risque de décevoir le lecteur exigeant habitué au classicisme rohmérien.