Un récit d’à peine 90 pages, de courts paragraphes et aucun chapitre. Un roman d’une étrange dualité. Dans La main de Dieu, il y a « je », comme dans « J’ai quinze ans » et « Je n’ai pas de photos de mon amant, ni de lettre, aucune trace ». Et puis il y a « elle », comme dans « Elle n’ira plus jamais seule au lycée » et « Elle n’arrive pas à se taire. Si elle se tait, elle va se mettre à l’aimer comme un animal fidèle ou un enfant perdu ».
Quand l’héroïne sans nom de Yasmine Char est-elle « je » et quand est-elle « elle » ? Quelles pensées schizophréniques habitent la narratrice, tiraillée entre plusieurs cultures ? Un côté romanesque un peu fleur bleue cède le pas à une étonnante maturité et parfois, à une brutalité guerrière. Une grande confiance en La main de Dieu, justement, qui sera déçue : « Elle avait été si naïve [ ] elle insultait le destin ».
Au jeu de la loterie qu’est sa vie choyée dans une famille aisée d’un Beyrouth en guerre, l’enfant est victorieuse et savoure une passion amoureuse d’une vibrante sensualité. Et perdante aussi, puisque ses repères affectifs fondent comme neige au soleil. Enfuie la mère française avec un amant de passage ; absent, ce père libanais « englouti par le chagrin » ; vite disparue, Asma, la grand-mère protectrice. L’enfance se brisera très tôt.
En poids et contrepoids, Yasmine Char raconte le Liban déchiré par d’interminables guerres civiles. Le côté merveilleux de ce pays de légende et de soleil. « Je suis comme ces gens du sable, libre et rebelle, une enfant nomade en devenir, en partance. » Et le côté sombre du Liban musulman, où de lourdes traditions subsistent. « Mon oncle considère le blasphème dans chacun de mes gestes. Dans ma façon de m’asseoir, de souffler une allumette, de jouer avec les bonnes »
Jusqu’à quel point l’écrivaine invente-t-elle ou nous confie-t-elle sa vie dans cet ambitieux premier roman, bien – peut-être trop – rempli ? Première lauréate du prix Landerneau 2008, l’auteure est née au Liban et, Vaudoise d’adoption, vit en Suisse depuis douze ans.