L’action s’amorce en 1720. La supérieure de la Salpêtrière, cette presque ville aux limites de Paris qui accueille aussi bien les prisonniers que les pauvres, les malades et les orphelins, a reçu le mandat de choisir 90 jeunes filles qui iront épouser des colons de la Louisiane et peupler cette nouvelle colonie française.
Le cadre spatio-temporel du roman emprunte à l’Histoire, tandis que les personnages féminins, eux, sont créés de toute pièce en tenant compte des conditions de vie de l’époque, lors des traversées océaniques, puis dans la colonie naissante. La narration suit le destin de trois de ces filles jusqu’en 1734 : la jeune et frêle Charlotte, orpheline qui n’a jamais connu que la Salpêtrière ; Geneviève, enfermée pour avoir pratiqué un avortement ; Pétronille, noble dont la famille a fait banqueroute. Elles se lient d’amitié au cours des longues semaines du voyage en charrette de Paris à Lorient, port breton, et des mois de traversée de l’Atlantique sur La Baleine. Une traversée éprouvante, qui n’a rien d’une croisière, il va sans dire, même avant que le trois-mâts ne soit attaqué par des pirates mis en fuite après avoir semé la terreur.
Débarquées à l’île aux Vaisseaux, puis emmenées en pirogue jusqu’à Biloxi, elles sont aussitôt mariées, et bientôt enceintes. Elles suivent leur mari, à Fort Rosalie-Natchez, à La Nouvelle-Orléans ou encore au Pays des Illinois. Une fière Autochtone, contrainte d’enseigner les vertus médicinales des plantes à Pétronille, oubliera son hostilité à l’égard d’une Blanche en constatant la piètre situation des femmes françaises, dépendantes en tout des hommes, ces colonisateurs dont avec les siens elle se voit victime. Car, si certaines de ces filles nourrissaient l’espoir d’une vie meilleure en quittant la Salpêtrière, elles ont vite déchanté en découvrant un pays qui leur a paru inhospitalier avec ses terres marécageuses, ses ouragans destructeurs, les combats contre les Autochtones qui défendent leurs territoires, après un mariage imposé, parfois avec un homme violent ou dont la mort prématurée les laisse totalement démunies. Heureusement, il y a leurs enfants, et leur solidarité lors de retrouvailles inespérées. « Nous avions le choix entre la peste et le choléra », dira l’une d’elles, en comparant La Salpêtrière et la Louisiane. Avaient-elles vraiment le choix ? Malgré tout, chacune réussira à s’affranchir.
La talentueuse Julia Malye n’épargne pas les détails, fruits de ses minutieuses recherches sur les débuts de la colonie française de la Louisiane. Toutefois, l’originalité du roman tient à sa perspective, qui privilégie le point de vue des personnages féminins dont l’Histoire n’a pas gardé de traces et qui se retrouvent plongés dans l’inconnu sans autre préparation que l’accoutumance à la misère. Un passé de captivité responsable sans doute du regard réprobateur qu’elles portent sur le commerce d’esclaves asservis à la culture des plantations des colonisateurs.