La Loi sur la laïcité de l’État a été adoptée par la législature québécoise en juin 2019. Tout en faisant l’objet d’un large consensus au Québec, elle a été violemment décriée à la fois par les groupes de gauche, par les autorités fédérales et le Canada anglais, lequel en a profité pour nourrir une image des Québécois en tant que population refermée sur elle-même.
Quels sont les enjeux exacts de cette loi ? De quoi est-elle l’aboutissement ? Pourquoi a-t-elle été adoptée et dans quoi s’inscrit-elle ? Quels reproches lui fait‑on ?
Voici un ouvrage qui regroupe une dizaine de communications issues du colloque organisé sur la question en octobre 2022 par le Mouvement laïque québécois et qui ne cache donc pas son parti pris. On commence par y définir juridiquement et philosophiquement la notion de laïcité et les différentes formes qu’elle peut prendre dans le cadre international, pour décrire ensuite comment ce principe est reçu au Québec et au Canada ; dans un troisième temps, on y traite de la façon dont la laïcité devrait être enseignée, pour conclure avec le regard féministe.
La question de la laïcité s’avère d’autant plus complexe au Québec qu’elle se situe à la confluence de deux torrents. Il y a d’abord l’histoire longue de la domination cléricale puis de la sécularisation des années 1960 et suivantes, et ensuite l’histoire plus immédiate marquée par l’arrivée de néo-Québécois dont le rapport à la religion n’est pas aussi conflictuel que celui de la majorité endogène.
En effet, la grande majorité des Québécois nés ici – et principalement des baby-boomers – ont développé une aversion pour la religion (catholique d’abord, mais aussi en général par association), qu’ils tiennent à faire disparaître de la sphère publique. En ce sens, l’adoption d’une loi sur la laïcité n’est qu’un aboutissement logique – et même tardif, diront certains – d’un cheminement historique cohérent. On voit d’ailleurs percoler çà et là dans l’ouvrage cette disqualification ontologique de la religion, que plusieurs contributeurs opposent à l’esprit critique et à la pensée rationnelle. Déjà cette antonymie illustre la difficulté d’un dialogue respectueux, même si une bonne part des auteurs tiennent à préciser que la laïcité ne consiste pas à dénigrer la foi, mais tout simplement à protéger la liberté de conscience et de religion de chaque citoyen tout en garantissant la neutralité de l’État à cet égard.
L’évacuation de l’Église catholique de la société, des institutions politiques et du monde intellectuel est chose faite depuis longtemps au Québec. Ce n’est donc pas l’action de l’Église catholique qui a suscité les débats des dernières années autour de la laïcité. Il s’agit plutôt de l’arrivée d’immigrants pour qui la foi saurait difficilement être reléguée à la sphère privée. Mais il s’agit aussi de mouvances militantes pas nécessairement animées à la base par les immigrants eux-mêmes, qui prônent un multiculturalisme dont les origines remontent aux principes théorisés puis constitutionnalisés en 1982 par Trudeau père pour devenir le cœur de l’identité postnationale du Canada d’aujourd’hui.
Or, si ce multiculturalisme, renforcé par le puissant mouvement intersectionnel depuis une vingtaine d’années, semble faire consensus au Canada, il est loin de susciter l’unanimité chez les Québécois, dont une bonne part se préoccupe toujours de sa survie en tant que peuple distinct. Au Québec ont été plutôt proposés les modèles d’interculturalisme et de convergence culturelle, qui posent que l’immigrant a un certain chemin à parcourir pour s’intégrer afin que soit préservée une certaine unité de la nation québécoise dans une optique que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de républicaine (malgré notre régime monarchique, ce qui est un autre angle intéressant pour aborder le problème). Du côté du Canada anglais, on n’hésite pas à qualifier cette approche de xénophobe, comme le montre l’analyse de la presse dont François Rocher rapporte ici les résultats en détail. Notons que ce souci nationaliste et cette hostilité envers les religions se trouvent nettement atténués chez les membres de la jeune génération québécoise, d’une part parce qu’ils n’ont pas connu le Québec clérical, d’autre part parce qu’on leur a « répété, tout au long de leurs années de cours ECR [Éthique et culture religieuse, qui s’étend sur toutes les années du primaire et du secondaire], […] qu’une interdiction des signes religieux serait contraire aux chartes, voire serait la preuve d’un racisme et d’une islamophobie des Québécois ». Le cours ECR, vertement critiqué pour plusieurs raisons depuis son instauration en 2008, sera d’ailleurs remplacé dès l’automne 2023 par un cours intitulé « Culture et citoyenneté québécoise », qui fait aussi l’objet d’une analyse dans cet ouvrage.