La ligne gothique est le premier roman de Fulvio Caccia, récipiendaire du Prix du Gouverneur général du Canada en 1994 pour son recueil de poésie Aknos. Caccia est également l’auteur d’essais (dont La république métis) et a collaboré à la défunte revue Vice-Versa. D’origine italienne, il a vécu trente ans au Québec avant de s’installer en France où il poursuit sa réflexion sur la diversité culturelle. Il est tentant de voir, dans cet itinéraire biographique et intellectuel, des éléments-clés du roman de Caccia. Certes, le thème de l’exil, du retour et de la mémoire sont présents, comme dans de nombreux romans parus ces dernières années. La trame romanesque se révèle néanmoins suffisamment complexe pour soumettre le lecteur à une logique déroutante et le perdre dans les méandres d’un parcours aussi singulier que labyrinthique.
Les noms eux-mêmes perdent leur univocité référentielle. Qui est vraiment ce Jonathan Hunt parti à la recherche d’un ami disparu et lui-même victime d’une machination kafkaïenne ? Quel est le rôle d’Arianne, dont le statut de narratrice à la fin du récit nous laisse penser qu’elle tire les ficelles au lieu d’offrir un fil salvateur ? Enfin, on est tenté de voir, dans l’évocation des lieux et des noms, une référence au conflit qui a récemment déchiré l’ex-Yougoslavie. Pourtant, la « ligne gothique » désigne la position défensive érigée par les Allemands, en Italie, pendant la Seconde Guerre mondiale. Peut-être parce que tout « [c]eci n’est qu’une histoire ancienne éternellement recommencée ». On a parfois l’impression de retrouver des procédés scripturaux caractéristiques de l’esthétique postmoderne (mises en abyme, interpellation du lecteur/narrataire, brouillage référentiel, etc.). Ce roman semble néanmoins en prise directe sur son temps (la guerre en ex-Yougoslavie apparaît, notamment, en toile de fond). Dans ce roman où règnent l’illusion, les impostures et le travestissement, le doute devient la meilleure arme du lecteur. Une fiction à la mesure de notre époque ?