Faut-il vraiment toujours que quelque chose advienne entre deux êtres pour qu’ils se soient vraiment et profondément connus ? Et si c’était, justement, lorsque rien n’advient, lorsque aucun secret n’est révélé, que nous communiquions le plus intensément avec le vivant ?
C’est hantées par ces questions que se déploient les nouvelles d’Hubert Mingarelli, recueillies sous le titre de La lettre de Buenos Aires. Et c’est hanté par ces mêmes questions que le lecteur y erre discrètement. Oui, ces nouvelles, on les lit comme du bout des doigts, on y marche sur la pointe des pieds. Par respect du silence qui les traverse. Et dans une pudeur extrême, qui répond à celle, non moins extrême, de l’écriture. Car ici rien n’advient que le clignotement de présences blessées surgissant de l’absence – ce fond d’absence qu’on appelle « monde ».
C’est de la sciure au fond des poches, le regard d’une souris, la mort d’un inconnu. C’est l’horreur d’un passé que l’on n’a pas connu et qui, pourtant, nous tient. C’est le brasier qui, à l’aube, témoigne du feu qu’on a partagé toute la nuit avec un autre dormeur, un autre vagabond, bref son semblable. Et, par-delà tout ça, à travers et autour de chacune de ces brèves apparitions, c’est la solitude du vivant qui s’offre dans toute sa beauté. Car rien ne dénude mieux la vérité d’un homme que ce qu’il ne dit pas. Les souvenirs qui l’ont forgé tel qu’il est, mais dont il ne saurait parler. Les regrets comme les amours, les amitiés qui lui ont creusé les traits, mais dont l’origine s’est perdue en cours de route. Sa manière d’écouter, de recevoir sans prendre, de deviner sans interroger.
Au fond, pour autrui, nous sommes d’abord et avant tout ce que nous avons abandonné : un livre oublié sur un banc, une certaine façon de regarder l’océan, une image de soi qui s’est posée sur l’œil d’un parfait inconnu et qui – sait-on jamais – lui aura peut-être procuré une pensée, un frisson. Oui, s’il est une chose à retenir des nouvelles de Mingarelli, c’est bien celle-ci : c’est à notre insu que nous nous donnons au monde… et sans même nous en apercevoir que nous lui faisons signe, comme des « randonneurs [qui laissent] toujours quelque chose derrière eux ».