Fascinant parcours que celui de Marthe Simard. Française d’origine algérienne, elle épouse un médecin québécois. La voilà dans les murs de Québec. Elle est bientôt immergée dans une société que l’occupation de la France partage entre des allégeances opposées. Les Québécois vont-ils, campés sur leurs traditions cléricales, maintenir leur foi en Pétain ? Souhaiter que la vilaine France de 1789 retrouve ses racines au cri de « Travail, Famille, Patrie » ? Vont-ils plutôt soutenir un obscur général au verbe grandiloquent qui prétend incarner rien de moins que « la France libre » ? Non seulement Marthe Simard choisit le camp de la lutte, mais elle s’emploie à gagner à de Gaulle le soutien du Québec et du Canada. Une effervescente gaulliste de la première heure, Élisabeth de Miribel, établit le contact avec le Québec et le solitaire de Londres. La suite est connue : malgré l’allergie de Roosevelt à de Gaulle et les pusillanimités canadiennes à l’égard de Vichy, l’opinion bascule et opte pour de Gaulle. Dès que surviennent les premiers succès des Alliés en Afrique du Nord, de Gaulle choisit, depuis Alger, l’équipe politique et parlementaire appelée à reconstruire la France. Marthe Simard est de cette équipe : elle est même la première femme à faire partie d’un Parlement français. Ce résumé ne rend pas justice à l’auteur qui, mieux que les historiens européens, a reconstitué cette trajectoire.
Les sources que Frédéric Smith met à contribution feront lever les souvenirs chez les plus âgés des citoyens québécois. Qu’il s’agisse de Charles De Koninck, du maire Lucien Borne ou de la famille royale autrichienne en exil, un Québec négligé revit. On redécouvre des personnalités dont les mots d’ordre étaient accueillis parfois avec surprise, mais toujours dans l’amitié. Pour diverses raisons, dont certaines d’ordre sentimental, l’universitaire Auguste Viatte donne à ces échanges de vues une place particulière dans ses carnets intimes ; Smith les cite généreusement. Ce dernier lève également le voile sur certains aspects moins glorieux des négociations entre l’opinion québécoise et les divers groupes qui battent le rappel de la Croix de Lorraine : Français de Montréal et de Québec se jalousent, Henri Bourassa tente d’inverser le courant et de rescaper Pétain, Auguste Viatte et plusieurs de ses proches déversent dans leurs journaux intimes leur mépris pour l’inculture, la bêtise, la lâcheté des Québécois… Là où il y a des hommes, un historien tel que Smith ne pouvait éviter de signaler l’hommerie.