En 2020, le gouvernement de François Legault sonnait le glas du programme Éthique et culture religieuse (ECR), lequel avait été introduit dans les écoles primaires et secondaires du Québec en 2008, dans la foulée de la déconfessionnalisation. Place au programme Culture et citoyenneté québécoise !
Le programme ECR, minutieusement conçu par un large groupe d’experts à l’issue de consultations exhaustives, venait de rendre l’âme sous les coups répétés des groupes de pression. Ce qui avait fait polémique, c’était bien sûr le volet « culture religieuse », qui avait pour but d’enseigner la tolérance et la reconnaissance de l’Autre dans une société de plus en plus cosmopolite.
Pendant ses douze années d’existence, le programme aura ainsi essuyé un feu nourri venant de tous les horizons : les féministes l’accusaient de plier l’échine devant des religions ontologiquement sexistes et patriarcales, les athées (sous l’appellation laïcs) l’accusaient de nourrir des superstitions archaïques, les croyants l’accusaient de promouvoir le relativisme – sinon l’athéisme, les nationalistes l’accusaient de concourir à l’ensevelissement du peuple québécois en jouant le jeu trudeauiste du multiculturalisme. À coup de communiqués, de colloques, de déclarations incendiaires et même de poursuites judiciaires, tout ce beau monde revendiquait la liberté de conscience pour son propre camp.
Mireille Estivalèzes n’a pas contribué à la conception du programme, mais elle formait les enseignants qui devaient l’appliquer. Pour elle, le programme ECR, aboli pour de mauvaises raisons, est sur le point d’être remplacé par un programme brouillon dont la mise en place improvisée s’annonce catastrophique.
Son ouvrage, dense mais limpide, offre à la fois une analyse complète des critiques exprimées à l’égard du programme abandonné, un exposé plus général sur l’histoire des notions de liberté de conscience et de religion, et une réflexion sur la mission sociopsychologique de plus en plus éclatée qu’on cherche à confier à l’école.
L’autrice n’est pas tendre à l’égard des détracteurs du programme. Tout le monde y passe, depuis les croyants arborant parfois une vision passéiste et figée de la religion jusqu’aux laïcs faisant preuve d’une inculture renversante : « D’une part, leur détestation des religions témoigne d’une profonde ignorance de ce que nos sociétés contemporaines doivent au christianisme, en particulier en matière de valeurs. D’ailleurs, le principe même de laïcité fait partie de cet héritage. D’autre part, ils méconnaissent l’importance du rôle qu’ont exercé certains chrétiens dans la Révolution tranquille, et tout particulièrement dans la sécularisation de la société québécoise ». L’autrice dénonce aussi chez ces laïcs une intolérance qui dépasse souvent celle qu’ils attribuent au camp d’en face, et qui se traduit par une interprétation étriquée de la notion même de laïcité.
Elle n’est pas tendre non plus à l’égard du gouvernement, qui, selon elle, a simplement cédé, dans un esprit populiste et probablement en raison de préjugés antireligieux entretenus chez les décideurs politiques eux-mêmes, à des pressions mal étayées mais véhémentes et allégrement colportées par des médias qui n’ont pas cherché plus que les autres à creuser la question.
Mireille Estivalèzes l’affirme avec toute la conviction de celle qui connaît le programme de l’intérieur : ECR avait été soigneusement conçu pour enrichir les jeunes d’une culture socioreligieuse objective dans un but ni de prosélytisme ni de déconstruction des religions, mais plutôt de réflexion sur soi et d’ouverture sur les autres. Les enseignants, d’ailleurs, étaient formés à ne pas laisser transparaître leurs propres convictions. Comment tout cela se passait-il sur le terrain ? La réponse est peut-être moins claire mais, justement, selon l’autrice, il aurait fallu au moins enquêter avant de poser un diagnostic, ce qui n’a pas été fait.
On peut toujours s’interroger sur le fait que Mireille Estivalèzes ne semble prête à reconnaître aucun défaut audit programme, mais il faut lui accorder que son analyse est complète et sérieuse, autant sur les questions de fait (présentation et réfutation détaillées des arguments) que sur les questions plus philosophiques (pertinence de la culture religieuse en soi, légitimité de la religion et de la foi aux côtés de la philosophie et des visions matérialistes du monde, même dans une société sécularisée, et, de manière plus générale, pédagogisme et rôle de l’école).
Le nouveau programme annoncé, Culture et citoyenneté québécoise, a pratiquement évacué toute mention de la religion sous quelque angle que ce soit. Pour l’autrice, cette approche nie vainement et dangereusement une réalité qui fait et fera toujours partie de l’histoire de l’humanité et de nos sociétés.