Tant mieux si le spectacle imaginé par un richissime parvenu romain tient le pari d’être la fête par excellence d’un certain siècle, car il ne mérite certes pas l’adulation du suivant. Dans son genre snobinard, la célébration ressemblerait au triste sommet atteint par Barnum & Bailey dans l’exhibition des plus tristes infirmités humaines. Tous y assistent pourtant, depuis les starlettes en quête de commanditaires jusqu’aux auteurs à succès. Puisqu’elle offre aux exhibitionnistes l’occasion de s’exhiber, elle est réussie s’ils sont là. Comme il se doit depuis que les terroristes cultivent comme tout le monde les relations publiques et la gestion des auditoires, elle attire aussi ceux qui perçoivent un tel rassemblement du gotha romain comme l’occasion rêvée de perpétrer un attentat dûment répercuté dans la presse mondiale. En l’occurrence, ce sont les adeptes de cultes sataniques qui planifient enlèvement et sacrifice humain. Sacrifice, il va sans dire, d’une vedette irremplaçable.
On n’en voudra pas à l’auteur de délirer : le genre littéraire choisi s’y prête et même l’exige. Le critiquerait-on qu’il pourrait recourir à l’esquive facile : « Mais tout cela est à prendre au deuxième degré : je ne fais pas l’éloge de l’esbrouffe, mais sa critique… » Objection recevable. Reste que la société que viserait Niccolò Ammaniti pourrait, pour mieux arroser l’arroseur, riposter que la pseudo-satire se gaspille en tonneaux délirants à des années-lumière de la réalité. Dans quelle Rome, si décadente soit-elle, imaginerait-on une chasse au lion menée par des cornacs exotiques juchés sur d’authentiques éléphants ? Et quel politicien romain, même pourchassé par les agences de notation qui déprécient ce qu’elles ne peuvent plus vendre, ne saurait rien de la population vivant depuis un demi-siècle dans d’éternelles catacombes ?
On lira pourtant Ammaniti avec plaisir si l’on préfère un livre invraisemblable au coût d’une cure psychiatrique ou si, dans un autre domaine, l’on aime que le cinéma s’investisse tout entier dans les effets spéciaux et ne s’épuise pas en intrigues cohérentes. Car la lumière ici jetée sur une décadence aveugle si totalement l’œil du lecteur qu’il ne voit plus ce que (peut-être) on lui demande de mépriser. De la vivacité, de la couleur, mais à l’excès.