Livre coup de cœur, oui, mais propos et écriture coups de poing. On termine fasciné et légèrement groggy le troisième et dernier roman de la cinéaste Anaïs Barbeau-Lavalette, La femme qui fuit, récompensé en 2016 par le Prix des libraires du Québec.
Sa mère Manon Barbeau, fille du peintre Marcel Barbeau et de la poétesse Suzanne Meloche, avait déjà troublé le Québec avec son documentaire Les enfants de Refus global, sorti en 1998. Le film-choc avait alors déstabilisé les foules autant que le texte fondateur même qui, en 1948, invitait les Canadiens français de l’époque à se libérer de leurs chaînes, dont celles de l’Église, et avait provoqué la colère des bien-pensants.
Quinze artistes précurseurs de la Révolution tranquille signeront le manifeste du Refus global, dont les Borduas, Riopelle, Gauvreau, Sullivan et Barbeau, mais Suzanne Meloche se retire à la dernière minute. Pourquoi ? Et pourquoi a-t-elle abandonné son mari et ses tout jeunes enfants Manon et François, en claquant définitivement la porte derrière elle ?
Anaïs Barbeau-Lavalette – avec l’aide d’une détective privée – part à la recherche de sa grand-mère inconnue, renouant les fils d’une existence vécue en marge. « Ce sentiment de non-appartenance. Tu le portes depuis l’enfance. Tu le connais si bien qu’il te rassure. Tu te sens en terrain connu : différente. » Le tutoiement de l’auteure donne une intimité poignante à cette longue quête offerte à sa mère en guise d’improbable apaisement. « La permanence des éclats de verre laissés sous sa peau, traces d’abandon qu’elle porte en blason. »
L’auteure écrit comme elle filme, avec des images fortes et crues, au rythme syncopé, aux couleurs drues. Avec ténacité, elle poursuit le fantôme de cette aïeule qui n’a pas su concilier ses pulsions d’artiste avec sa réalité d’épouse et de mère, ou avec son destin de femme des années 1950. Et qui a préféré la route et divers militantismes. La romancière reconstruit la vie, ou du moins des moments de la vie de cette Suzanne qui a tant blessé sa mère Manon et son oncle François, revisitant par la même occasion l’histoire des cent dernières années du Québec.
Anaïs Barbeau-Lavalette a tenu son pari et fait apparaître au grand jour celle dont les poèmes ne seront réunis qu’en 1980 sous le titre des Aurores fulminantes, soit 30 ans après leur création. Et lus en public pour la première fois en 2009, année des 83 ans de Suzanne Meloche, année de sa mort.
Je me souviens déclare officiellement un peuple qui a cependant la mémoire bien courte. L’œuvre forte de Barbeau-Lavalette vient a contrario appuyer la devise nationale et ponctue en guise de conclusion : « Nous nous souviendrons de toi ».
LA FEMME QUI FUIT
- Marchand de feuilles,
- 2015,
- Montréal
378 pages
23,95 $
Loading...
Loading...

ESPACE PUBLICITAIRE
DERNIERS NUMÉROS
DERNIERS COMMENTAIRES DE LECTURE
Loading...