Présenté comme « récit », La femme de ma vie rassemble les « fragments de la saga familiale » de Jeanne Pelletier, une femme qui « parlait beaucoup » et qui « aimait répliquer, commenter, raconter », tout particulièrement au profit de sa fille, en l’occurrence l’auteure-narratrice elle-même. Quelques années après le décès de celle qui l’a « marquée à vie », Francine Noël a voulu laisser un « mémorial » pour contrer « l’envasement de la mort », par « refus de la perte ». « Je n’ai […] pas cherché ‘la’ vérité, mais à raconter ma mère comme elle se disait et comme je l’entendais se dire. »
Dans les six chapitres de ce « roman familial », on suit les deux femmes depuis la naissance de l’auteure, à L’Abord-à-Plouffe, jusqu’au lendemain de la mort de sa mère, à Montréal, selon un ordre chronologique ponctué de reprises et de retours en arrière. Tout en rendant hommage à « la femme de [sa] vie », Francine Noël a su éviter les pièges du dithyrambe filial et de la célébration univoque qui, d’habitude, rendent précaire l’adhésion du lecteur. Les relations mère-fille sont revécues à distance dans leur complexité, avec les incontournables cycles de concordes et de brouilles, dans l’alternance de faits honorables et de révélations peu reluisantes. Le « côté brouillon » et la susceptibilité progressive de la mère, de même que la « présence […] aléatoire » du père et les « beuveries » des Pelletier, ces « soûlons », sur la ferme familiale, à Cacouna, côtoient ainsi l’indulgence et la charité de la première, le « halo de romantisme » du second et le « paradis » que représentait la susdite ferme lors des retours épisodiques des deux héroïnes en terre originelle.
Le récit abonde en anecdotes particularisantes, livrées dans une langue généralement alerte et concise qui met en relief ces « petits faits vrais » chers à Stendhal. À noter ici et là, de surcroît, une note humoristique de bonne venue, qui allège les moments d’inévitable tension ou qui désamorce le tragique de situations de nature éminemment dramatique. « Je suis mal, mais pas plus qu’avant. On dirait que je ne mourrai pas tout de suite… Quand on mourra, on vous enverra des faire-part », dit par exemple Jeanne à sa fille en apprenant la leucémie qui l’emportera peu après.
Un récit somme toute fort attachant que cette Femme de ma vie.