La langue est prise à bras-le-corps et devient un matériau capable de sublimer le quotidien, la maladie, le présage de mort, dans le bouleversant quatrième recueil de Jean-Christophe Réhel.
« [J]e me jette sur une langue / pour sentir l’état du monde. » Entre les pages grand format et sous une couverture à la beauté sobre d’un classique, le monde, c’est le salon, la chambre, l’hôpital, le travail, le rêve, l’amour, ces espaces qui animent les jours du narrateur. Jean-Christophe Réhel offre de longs poèmes, des textes-fleuves dont l’amplitude n’a d’égale que la clarté de son regard et qui viennent se frapper à des pages presque blanches.
De La fatigue des fruits se dégagent une envie de vivre puissante, des poèmes en réponse à la détresse. Les mots semblent salvateurs, comme si, à travers eux, le poète respirait à pleins poumons. Le livre est fait de tristesse, de beaucoup de tendresse. Les images empruntent au surréalisme, à la culture populaire, parfois à ce qu’il y a de plus trivial, et sont porteuses de troublantes vérités : « [D]es fois j’ai fait le tour / j’ai fait le tour de l’appartement / le tour du loyer / le tour de ma job à 14 $ de l’heure / des fois j’ai fait le tour de l’amour / des fois je pleure pour rien / je fais le tour de mes larmes / je fais le tour de l’épicerie / je n’achète rien ». La douleur, les larmes, les visites à l’hôpital, la douceur de mains dans les cheveux côtoient les sachets Sidekicks, la bouffe de dépanneur, les sandwichs aux tomates, et ensemble, ils fabriquent un curieux univers. Dans le discours intérieur du narrateur, les répétitions(c’est pas possible, ok c’est bon, je cherche, et on, j’ai peur, je), comme un disque égratigné, créent un effet toile d’araignée dont il est difficile de sortir.
Jean-Christophe Réhel a le regard aiguisé et sensible ; les tonalités de son écriture se superposent, douces, révoltées, résignées, affectueuses. Depuis la réalité d’un corps fragile, Réhel écrit : « [J]e me retiens souvent pour ne pas hurler ». Et le livre devient ce grand cri qui marche contre la mort : « [J]e ne veux pas mourir tout de suite / j’écris un autre livre / au bout de mes bras / j’essaye de guérir de la maladie / je fais des incantations ». Les textes prennent des allures de litanie. Moi, ils m’ont aspirée, à la limite de l’étouffement, par le sentiment d’urgence que la poésie est venue mettre en lumière.
Tout est magnifié dans La fatigue des fruits, le détail devient beau, le quotidien oscille entre lumière et noirceur. Un grand mouvement traverse les textes qui tournent en boucle comme une plainte infinie. Je suis entrée dans la danse, un sourire s’est dessiné sur mes lèvres, je me suis émue devant ce JE entier, pleinement incarné ; ce JE à la fois enfant, homme, vieillard, malade, vivant, original ; un poète certainement.
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