Le plus récent roman de Yasmina Khadra, annoncé à grand renfort de publicité de la part de Julliard depuis le mois de juin, est dans la mouvance de ces autobiographies fictives de personnages douteux ou infréquentables que la critique a particulièrement bien accueillies ces dernières années. Comme Jonathan Littell, qui faisait parler un nazi, comme Emmanuel Carrère donnant la parole à Limonov, soupçonné d’avoir été l’ami du criminel de guerre Radovan Karadžić, Khadra imagine un récit de la dernière nuit de Kadhafi narré par le dictateur lui-même.
On entre dans le texte par un souvenir d’enfance qui place le héros contestable dans une situation de fragilité, jusqu’à ce que, à peine quelques paragraphes plus loin, on découvre la mégalomanie de ce « mythe hors de portée des armes », ce « phénix renaissant de ses cendres », dit-il en parlant de lui-même. Nous sommes donc prévenus très vite du malaise auquel cette lecture nous confrontera sans cesse.
Bien sûr, il faudra admettre que Kadhafi a été un modèle d’ascension sociale fondée sur le mérite personnel, un révolutionnaire qui a unifié son pays et l’a fait échapper à l’autorité d’un roi sans charisme. Il faudra reconnaître l’atrocité de sa fin, le tragique du moment où tout rêve de grandeur tombe et où Kadhafi trouve son humanité dans une lâcheté qu’il n’avait pas prévue. En même temps, il faudra aussi constamment voir la cruauté et l’absence totale de clémence du personnage. Il faudra ne pas oublier les mises à mort, les tortures, les attentats et les viols dont il s’est rendu coupable tout au long de son règne et qu’il ne manque pas de rappeler dans son récit.
Ce roman nous met devant la nécessité d’accepter qu’il y a peut-être de la noblesse dans les êtres les plus vils, que même le tyran qu’était Kadhafi ne méritait pas la barbarie de sa mise à mort, barbarie qui en dit d’ailleurs plus long sur les bourreaux que sur la victime. Par ailleurs, Khadra parvient à éviter un didactisme fort tentant pour un tel propos. Plus encore, il réussit à introduire la dérision dans le drame par le détournement d’un emblème culturel occidental célèbre qui ne manquera pas de surprendre le lecteur.
Enfin, si l’écriture n’est pas forcément du Khadra à son meilleur, on ne peut nier que l’ancien militaire nous offre avec cette « nuit » terrible un monologue tragique avec des moments de puissance indéniables, échos à l’actualité brûlante et incompréhensible d’une guerre civile qui est, tout compte fait, la suite de cette histoire.
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