L’Américain Richard Powers a la réputation d’écrire des romans intelligents, à la fine pointe des connaissances du moment et qui, de ce fait, exigent du lecteur attention et persévérance. Son troisième roman traduit en français, La chambre aux échos (National Book Award, 2007), confirme cette réputation. En effet, à partir de la douloureuse relation entre un frère et sa sœur due à un traumatisme cérébral, Powers crée une intrigue qui nous conduit dans les arcanes du cerveau et interroge nos idées sur la perception, l’affect et la mémoire.
Un soir de février 2002, dans des circonstances qui resteront mystérieuses jusqu’à la fin du roman, Mark Schluter est victime d’un accident de la route qui le laissera affligé du syndrome de Capgras. Les sujets atteints de ce syndrome, nous apprend Powers, « croient que leurs proches ont été remplacés par des androïdes perfectionnés, des sosies, ou des extraterrestres [ ]. Le visage d’un proche déclenche en eux des souvenirs mais aucun affect ». Pour le sortir de cet état, sa sœur Karin, qui fut toute sa vie son ange gardien, décide de faire appel à Gérald Weber, un éminent neurologue et l’auteur d’ouvrages à succès sur le fonctionnement du cerveau. Intrigué par les variations de ce syndrome chez le jeune Schluter, le grand « neurocogniticien » accepte de quitter le confort de sa vie new-yorkaise pour se rendre à son chevet dans le Midwest américain. Ce retour dans l’immuable hinterland américain, un an après les événements de septembre 2001, éveillera chez lui un malaise qui l’amènera peu à peu aux doutes : doute sur la valeur de ses connaissances « scientifiques », doute sur les rapports qu’il entretient avec ses patients, doute finalement sur les liens qui l’unissent à sa famille. Quant à Mark et à Karin, disons qu’au terme de leur traversée des apparences, chacun verra sa vie transformée.
« Comment le cerveau édifie-t-il l’esprit, et comment l’esprit édifie-t-il tout le reste ? Existe-t-il un libre arbitre ? En quoi le moi consiste-t-il, et où résident les corrélats neurologiques de la conscience ? » Ce sont là quelques-unes des questions qui sous-tendent l’intrigue du roman et nourrissent la réflexion du lecteur à mesure qu’il s’enfonce dans le récit. Par la présentation de quelques cas de dysfonctionnement neurologique (idioglossie, paramnésie, anosognosie, etc.), Richard Powers ouvre de fascinantes perspectives sur ce que l’on appelle nos états de conscience. C’est, de loin, l’aspect le plus intéressant de son bouquin. La solidité de sa documentation fait en effet oublier ses quelques faiblesses : un récit éparpillé en intrigues secondaires qui diluent l’intérêt, un niveau de langage parfois mal adapté aux protagonistes (problème de traduction ?) et, trop souvent, une affectation du style par l’abus de la métaphore. Mais, en dépit de ces scories, aucun esprit curieux ne regrettera la lecture de La chambre aux échos.