Ce livre n’est pas moins déroutant que les précédents du même auteur. Par son caractère protéiforme, l’œuvre entière de René Lapierre échappe aux conclusions. On y est toujours assis comme entre deux chaises. Que l’on pense à Pour les désespérés seulement (Prix du Gouverneur général, prix Alain-Grandbois et Prix de poésie Estuaire – Bistro Leméac), qui entremêlait notes et réflexions intimes à une sorte de traité de botanique. On cherche les liens qui unissent les mondes, les discours. Ce sont ces ponts, ou leur absence, qui donnent sens à l’œuvre.
Dans la partie centrale de La carte des feux, René Lapierre juxtapose sur une même page de courtes descriptions de tremblements de terre à des poèmes minimalistes tels que celui-ci : « Il y a dans mon cœur / un homme / lent, on dirait / retenu ». Plus tôt, il introduisait des vers (toujours en italique) à l’intérieur d’une fiction commençant comme un polar et mettant en scène un certain Paschetti. Comme s’il cherchait à révéler le caractère fictionnel de la poésie, son inadéquation avec le réel, mais surtout la distance qui le sépare de son lecteur.
Chaque poème ou presque donne à lire deux façons d’habiter le réel, et cela se démultiplie à mesure qu’on avance dans le recueil. Un désespoir intérieur, hors de l’amour, est ici constamment confronté à un monde près de l’effondrement, corrompu, violent : « Nous faisons porter à nos enfants / des uniformes ; nous répétons pour eux les noms / de l’aplatissement, de la servitude ». Mais l’humain n’est peut-être pas responsable du mal qui le détruit. Son univers est naturellement sans pitié. Les éléments qui le composent suivent une évolution qui nous ignore : « J’entends contre tes os l’écrasement des glaces : les empilements rocheux aux désordres puissants, aux arrogances avachies ».
Le constat est pour le moins sombre : nous sommes tous seuls, dans cette fiction qui nous sépare du monde, et ce drame se répète depuis les presque débuts de l’humanité jusqu’à la dissolution. Nous n’y pouvons rien. Il ne nous reste qu’à dire le tragique de vivre, à le décrier. « J’écris dans le déni / (il est impossible / que notre monde / meure, que notre monde / disparaisse / – et pourtant). // J’écris dans la défaite. / J’écris en travers. // J’écris dans l’inconscience / les duretés. »
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