Variations magnifiques sur un thème de maniement souvent crispant et crispé. Magnifiques, mais aussi vivantes, drôles, dansantes. Et cela, même si ce n’est généralement pas ce que promet une discussion sur l’avenir de la littérature à l’heure de la globalisation et de l’informatique. Roman, dit Alain Beaulieu, mais personne n’est contraint de le croire. Oui, le rythme, les coups de griffes et les pirouettes empruntent à ce genre littéraire, mais les questions abordées et l’intelligence qui préside à l’exercice rendent le roman bien près de l’essai à teneur sociologique. Que de menaces pèsent, en effet, sur la littérature du fait de sa commercialisation ! Qu’un livre sur cinq aboutisse au pilon, n’est-ce pas, tout à la fois, qu’on édite beaucoup et peut-être trop, de façon éclatée et immédiate, et qu’on préfère le scintillement qui brûle la comète à la discrète et plus durable lueur de l’étoile ? De dire Alberto Manguel que cite Beaulieu, « il est arrivé à l’édition et au marché du livre la chose la plus désastreuse qui ait pu lui arriver : elle a été découverte par les marchands ». Dès lors, quand Bernard Pivot, sur ordre d’un dieu probablement lettré, invite une quarantaine de beaux esprits, vivants ou décédés, à plancher sur l’avenir de la littérature, la table est mise pour un roman qui, mine de rien, livre une gamme d’analyses et d’observations intelligentes. Il ne saurait en aller autrement quand pérorent, à jeun ou sous influence, Albert Camus et Jack Kerouac, Anne Hébert et Jean-Paul Sartre, Amélie Nothomb et Réjean Ducharme, Annie Ernaux et Gabrielle Roy… Quand Pivot lèvera le voile sur Bookie Joe, machine aux neurones (presque) créateurs, l’avenir prendra les couleurs de l’informatique : quelques minutes après avoir ingurgité quelques paramètres (lieu, nature du drame, nombre de personnages…), le monstre accouchera d’un véritable livre aux imprévisibles prétentions. Qui dit mieux ou pire ?
Pour le lecteur peut-être plus que pour les auteurs projetés bien malgré eux dans ce colloque intemporel, la verve d’Alain Beaulieu est un délice. Il connaît les petites vanités de chacun et multiplie en souriant les méticuleuses perfidies. Je n’en citerai aucune, de peur que le plaisir de déguster les méchancetés fasse oublier la profondeur du propos.