Par de nombreux aspects, le second roman de Marie-Sissi Labrèche rappelle le premier, Borderline, publié en 2000. Plusieurs personnages y sont convoqués à nouveau : la « mère folle à lier », la grand-mère psychotique, le beau-père honni, comme tous les hommes, par cette dernière. Il y a surtout Émilie-Kiki, une forte en baise insatiable qui, avec sa « sale […] enfance » et son omniprésente « boule d’angoisse », est une sorte de prolongement de la Sissi Labrèche du roman précédent : les deux blondes héroïnes couchent ou ont couché à droite et à gauche, avec des hommes aussi bien qu’avec des femmes, elles ont les mêmes problèmes de solitude, de détresse, de soif d’amour, elles souffrent de l’absence paternelle, elles suivent une thérapie, elles ont volontiers à la bouche des bouts de chansons populaires américaines, elles gardent en tête des souvenirs de Cendrillon, des visages de clown… Ce que du reste Sissi dit de son patronyme, à huit ans, est particulièrement illustré par Émilie-Kiki, à 26 ans : « mon nom, c’est le trou, c’est la brèche, c’est la fente de mon petit corps » (Borderline).
Bien sûr, la forme narrative diffère : on va d’un récit traditionnel alternant du présent au passé, avec une régularité de métronome, à un journal écrit au présent avec de brèves analepses (retours en arrière). Mais ce n’est là qu’une différence apparente, car la langue utilisée offre les mêmes caractéristiques : réitérative, à fleur de peau (comme les sentiments des deux héroïnes), vulgaire aussi par moments, convoquant volontiers les sacres et les mots crus. Il s’agit certes d’une spontanéité étudiée, mais qui garde son naturel. Une bonne part de son caractère inventif tient à sa nature à la fois hyperbolique et concentrée : quand Émilie-Kiki répète, par exemple, qu’elle habite « un quatre-et-demi dans [un] bloc de mille étages », elle traduit l’étouffement et l’angoisse de son anonymat social autant que son impérieux besoin d’isolement avec son « vieux croûton » de professeur de littérature qui n’y met jamais les pieds.
Faut-il souhaiter, ou craindre, que le prochain roman de Marie-Sissi Labrèche reprenne un peu les mêmes propos, sur le même ton, dans un récit quantitativement identique, dont l’action se déroule à Montréal, où il a été terminé à la fin d’un mois de décembre… ?