Une jeune handicapée s’interrogeant sur la teneur de son identité ; une intrigue reposant sur des événements bizarres s’étant déroulés quinze ans plus tôt et fondée sur la disparition de deux êtres chers ; un monstre légendaire censé manifester sa présence tous les quinze ans, dont les personnages attendent l’arrivée imminente : tous les ingrédients sont en place pour faire de La bête du lac, roman de Martin Thibault, une œuvre riche de suspense mais également d’une grande sensibilité. Les premiers mots du récit donnent le ton : « On n’est rien sans le regard aimant posé sur soi par un être aimé », dit la jeune Alice, héroïne qui n’aura de cesse de s’acharner à découvrir les grandes vérités de l’amour. Lancée dans l’aventure du retour vers le passé, Alice tente de résoudre l’énigme de sa naissance difficile mais aussi des actes quelque peu subversifs posés par sa mère alors que la fillette n’était âgée que de quatre ans. Alice avance par à-coups et si elle réalise bientôt que « [c]’est risqué, voir clair », elle demeure toutefois fidèle à son but initial : comprendre, fût-ce au détriment de ceux qui l’aiment.
Créature mythique issue de l’imagination fantaisiste de riverains embourgeoisés ou être réel dont l’apparition ne pourra manquer de causer désordre et terreur ? La bête du lac est avant tout celle que porte en elle la jeune Alice, mais également celle qui surgit des êtres qu’elle côtoie quand elle leur intime de lui livrer la vérité. Le roman de Martin Thibault constitue de ce point de vue une intéressante exploration des méandres de l’esprit humain dans ce qu’il a de plus complexe et, peut-être, de plus fascinant : son côté sombre. Truffée de retours en arrière et de questionnements philosophiques, l’écriture progresse par soubresauts, de doutes en défiances, et les tensions ainsi produites se répercutent sur la trame narrative, créant une œuvre toute postmoderne dans son contenu et sa forme. Les récits au passé et au présent se superposent un moment de manière à établir un dialogue entre le connu et l’inconnu, et bientôt surgit en toutes lettres la grande vérité du roman : la difficulté d’aimer et les souffrances qu’implique le don de soi ne sont pas insurmontables. Mais, comme le pressent Alice, remonter le temps pour se découvrir soi-même tel que l’on est déchire peut-être davantage qu’il n’apaise.