Depuis longtemps, les épithètes se sont épuisées vainement à tenter de rendre justice aux photographies du couple Mia et Klaus. Privilégiant le plus souvent le noir et blanc, leurs albums forçaient l’agité à s’arrêter, à prendre conscience des horizons immenses comme des finesses de la fleur, à suspendre un instant toute fébrilité. Ce recueil va pourtant un cran plus profondément dans l’étreinte du regard sur la beauté : des textes lourds de pertinence et d’élégance viennent, en effet, accompagner et enrichir de leur sagesse souvent millénaire et de leur pertinence un superbe jeu de photographies choisies.
En agençant cette connivence du texte et de la photographie, Mia Matthes a situé au cœur de sa démarche la relation entre l’Être suprême et la beauté du monde. Ayant nommé Dieu, écrit-elle, « j’ai dit la mer et les ruisseaux, les fleuves, la vague qui déferle et le vent qui la pousse, les pluies de sable blanc et les grèves, les grands tourbillons et la brise ». Cette courte introduction, à deux doigts du panthéisme et à cent lieues d’un cartésianisme desséchant, fait prévoir qu’aucun culte circonscrit et hégémonique ne monopolisera la Beauté répandue dans le cosmos. Mia Matthes puise d’ailleurs à mains ouvertes et équitables dans les textes sacrés des différentes religions. De Jean de la Croix à Rabîndranâth Tagore en passant par Rav Abraham Kook et Martin Buber, les plus fervents mystiques cheminent depuis leurs sources respectives pour mieux rendre à la Beauté l’hommage d’un commun respect. « Et je vis, écrit dans cet esprit le chef sioux Cerf-Noir, que le cercle sacré de mon peuple était l’un des nombreux cercles qui n’en font qu’un […]. Et je vis que c’était sacré. »
On ne devra pas s’étonner qu’aucune présence humaine ne se manifeste dans ce recueil. Seuls témoignent les éléments et les végétaux, comme si eux seuls étaient de taille à nouer le dialogue avec l’Être dont la présence s’étend partout. On ne s’étonnera pas davantage si les couleurs, que Mia et Klaus ont toujours contenues dans d’étroites limites et souvent laissées en touche, ne dressent encore la tête qu’avec une élégante parcimonie. Tout l’album est de cette eau : discret, pudique, silencieusement habité d’une Présence généreuse. Il prolonge une impressionnante série d’albums élégants publiés aux éditions du Passage.