Que le monde des communications soit en mutation rapide, qui l’ignore ? Qu’il se transforme à un rythme dont il ne prend pas tout à fait conscience lui-même, cet ouvrage collectif a tôt fait de le démontrer. Résultat d’un colloque tenu en 2006, l’ouvrage est, en effet, déjà pris en défaut dans plusieurs de ses prédictions de nature technique et économique. Comme quoi une crise économique rend opaques toutes les boules de cristal, celles des ingénieurs aussi radicalement que celles des investisseurs. On sourira dès lors de certaines certitudes péremptoires. « Il apparaît évident », écrit-on pourtant, sans voir là une contradiction. « On peut toutefois affirmer, ajoute-t-on sans complexe, en s’appuyant sur la loi du retour accéléré, que le papier perdra du terrain de façon exponentielle ». Loi visiblement devenue, malgré son jeune âge, intangible.
On remarquera que ces certitudes, que quelques courtes années frappent de leucémie, fleurissent en contexte dit scientifique autant et plus que dans l’univers réputé flou des analyses de contenu. Là où l’informaticien affirme, l’historien et le journaliste supputent prudemment.
Non que le monde du contenu se sente à l’abri. Le texte remarquable de Jean de Bonville suffirait, en tout cas, à agiter les gestionnaires de quotidiens. En plus de la concurrence que mène contre eux l’informatique, le déferlement des journaux gratuits fragilise les quotidiens classiques au point d’en faire craindre la disparition. Facteur aggravant, les générations les plus aptes à la compréhension de l’écrit sont les moins portées à s’en servir. Abondant dans le même sens, le praticien Jean-Paul Gagné rend plausibles les pires scénarios. L’éventuelle éclipse des quotidiens n’est pourtant ni le seul ni peut-être l’ultime danger. En théorie, l’information pourrait, en effet, changer de véhicule sans cesser de fonder la démocratie et la citoyenneté. En pratique, ainsi que le signale Éric Le Ray en rejoignant le journaliste Paul Cauchon du Devoir, l’information elle-même est mise en cause : « Les sources d’information prolifèrent, mais les sources concernant les faits sur lesquels les opinions sont basées rétrécissent ». En substituant le style magazine à l’information, les médias traditionnels prennent aussi des décisions qui engagent plus que leur seule survie. Se rejoignent d’ailleurs deux tendances aussi lourdes et dévastatrices l’une que l’autre : les consommateurs tiennent pour acquis que l’information est gratuite et retirent leur appui aux médias tarifés ; l’innovation technique cherche à réduire les coûts sans vérifier quels médias elle conduit ainsi à l’abattoir. La bataille dont parle le titre du collectif oppose, par conséquent, deux conceptions de la société et non pas seulement deux supports. Bouquin étoffé, éclairant, inquiétant, suffisamment hybride pour sensibiliser à la nécessité (et à l’absence) d’une vision commune aux différents agents sociaux et économiques.