Ne pas tricher : seule contrainte de l’éditeur à Michel del Castillo pour la rédaction de son journal de l’année 1999. Résultat de cet engagement, L’adieu au siècle s’inscrit à la fois comme un ouvrage distinct et un fragment à part entière du riche parcours littéraire de l’écrivain. Ceux qui connaissent del Castillo, de père français (titre d’un de ses plus récents ouvrages) et de mère espagnole, y trouveront de nombreuses ficelles éclairant son œuvre et sa pratique d’écrivain. Les autres y découvriront un homme lucide, digne et compatissant qui, depuis sa naissance à Madrid en 1933, a traversé ce dernier siècle du millénaire la mémoire marquée par la trahison et la douleur des années d’enfance.
Michel del Castillo n’a que cinq ans lorsqu’il doit fuir, avec sa mère journaliste, son pays natal déchiré par la guerre civile. Viennent ensuite quinze années d’errance et de souffrance : camp de réfugiés au sud de la France, abandon par sa mère, internement en Allemagne nazie. À Paris, après la guerre, le jeune homme, qui a survécu au camp, survit encore au silence de sa mère et à l’indifférence hargneuse de son père. L’affection, il la connaîtra auprès de sa tante Rita. Et la force de transcender ces années de cauchemar, c’est dans la littérature qu’il la trouvera.
Lecteur boulimique et auteur de quelque 25 romans et essais, del Castillo parle beaucoup des différents aspects de l’univers du livre. Il dédie, entre autres, plusieurs pages à Dostoïevski, écrivain fétiche à qui il a consacré une biographie, Mon frère l’idiot (1995), et à Colette, sujet de son ouvrage couronné par le Prix Femina Essai en 1999 (Colette, une certaine France). Pour en avoir subi les conséquences, Michel del Castillo abhorre les Idées, de droite comme de gauche ; il leur préfère la pensée. Le récit ironique de ses rencontres avec Sartre, dissertant sur le franquisme et la politique de Cuba envers les homosexuels (quand ces réalités, del Castillo les connaît de l’intérieur !), résume bien son opinion sur l’idéologie et les intellectuels. Il n’est pas tendre non plus avec les politiciens, quand il analyse les événements de la scène nationale française (attentats en Corse et autres scandales) ou internationale (guerre au Kosovo, protectionnisme des États-Unis, marasme politique en Russie), ni avec l’hégémonie économique. En fait, del Castillo déteste tous les manipulateurs. Le récit pudique de la mort tragiquement exploitée de son neveu (le mourant sidéen des publicités de Benetton) le démontre.
Dans L’adieu au siècle, Michel del Castillo ne triche pas. Il critique, se révolte, analyse, compatit, réfléchit sur la destinée humaine et sur le monde. Rédigé pour l’année 1999, son journal va bien au-delà ; il est intemporel.