Les drames humains tendant à susciter la fraternité, il n’est pas impossible que les masses s’entichent bientôt de culture nippone ‘ une culture unique, vaste, infinie. Des libraires remettront peut-être en vitrine les œuvres de Haruki Murakami, souvent pressenti pour le prix Nobel Or, derrière le grand écrivain se cachent des références bigarrées, des origines plurielles, si variées qu’on ne saurait prétendre connaître la littérature japonaise en n’ayant pas approché d’autres auteurs. Nous pourrions plutôt, disons, remonter le temps. Nous abreuver aux sources. Lire de délicieuses traductions de romans et contes classiques, zyeuter les anthologies d’espiègles poètes. Mais avant longtemps, quelque chose manquerait. Et ce quelque chose, c’est le théâtre. Pardon: le nô.
Constitué vers la fin du XIIIe siècle à partir d’anciennes traditions, le nô allie poésie, musique, danse, pantomime. Les comédiens y représentent des drames lyriques en un jeu dépouillé et codifié. Si le nô a évolué au fil des siècles, inspirant différents courants, les façons traditionnelles se pratiquent encore aujourd’hui. Et pour cause: de grands maîtres, dont Zeami et son gendre et successeur Zenchiku, rédigèrent plusieurs traités dans le but de préserver les secrets de cet art mystérieux. Joyaux et fleurs du nô propose la traduction de sept de ces textes, d’aucuns très courts, et depuis toujours transmis oralement.
L’introduction a de quoi offrir aux dramaturges et comédiens d’ici de fascinantes perspectives. On y traite des circonstances dans lesquelles Zeami a voulu créer un « art absolu de la représentation », de sa vision vivifiante de la formation des acteurs, de ses raisons d’avoir autant recours à la terminologie d’écoles philosophiques, de l’importance qu’a son œuvre dans l’histoire de la pensée esthétique japonaise. Plus fondamentalement: des raisons d’être du nô, « un art ayant pour fins d’apaiser les esprits, d’éveiller l’émotion dans le cœur des hommes, quels que soient leur rang et leur condition, de semer en eux le goût et le sens du bonheur ».
On a l’impression de tenir un livre sacré, mais qui exige beaucoup du lecteur: soit une connaissance du théâtre en général, soit une profonde affection pour la culture japonaise en particulier. D’une consultation trop ardue pour une première approche, ce livre n’en reste pas moins une référence d’une remarquable qualité.