Denis LeBlanc est l’un des premiers pèlerins québécois à avoir accompli le fameux pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle. Au cours de l’été 1995, récemment retraité de son travail de policier et animé par un rêve plutôt excentrique à l’époque, il entreprend une marche intensive de 1800 km sur les chemins de Compostelle, de Paris jusqu’au cap Finisterre. Bien que certains médias (notamment l’émission radiophonique L’Aventure, à Radio-Canada, puis une série de conférences) publicisent alors son périple, LeBlanc ne parvient toutefois pas à faire paraître le journal de son pèlerinage écrit en 1996. « Il faut comprendre, nous dit-il, qu’à cette époque-là, le pèlerinage à Compostelle était quasi inconnu des Québécois, éditeurs compris. » S’il est trop tôt à l’époque pour éditer l’ouvrage, on peut toutefois se demander s’il n’est pas un peu trop tard aujourd’hui. Depuis vingt ans en effet, près d’une quarantaine de pèlerins québécois ont publié leur témoignage, voire exploré différentes façons de mettre en récit l’expérience pèlerine. Après des récits documentaires, mystiques, introspectifs, des récits fournissant aux futurs pèlerins de multiples informations et recommandations d’usage pour bien réussir leur pèlerinage, après des récits plus culturels qui signalent à point nommé des légendes traditionnelles, des rituels à accomplir et des vestiges historiques et religieux à admirer, après même quelques récits plus iconoclastes qui remettent en question le mythe de Compostelle, le Journal de LeBlanc nous ramène à une approche surtout descriptive. Nombre de kilomètres parcourus, accueils et rencontres sur le Chemin, lieux historiques visités, etc., y sont consignés quotidiennement. On ne peut pas dire que l’auteur atteint son objectif de « faire vivre intensément les émotions […] ressenties dans la préparation et la réalisation » de son pèlerinage. Même la lettre qu’il reçoit en chemin et par laquelle son épouse lui demande, contre toute attente, le divorce ne déclenche pas un épanchement. Malgré tout, il est possible d’observer dans son récit la métamorphose que provoque l’épreuve de la marche, vécue dans la durée et la distance. Le besoin de contrôle, de tout préparer et planifier du marcheur au début de son aventure laisse peu à peu place à un lâcher-prise et à une descente en soi qui donnent accès à une forme de transcendance. Vers la fin de son récit, dans l’un des rares extraits où l’écriture de LeBlanc passe du particulier au général, on peut lire cette révélation importante : « Ce long et dur périple à pied est pour moi un artifice pour tromper mon intellect, afin qu’il lâche prise et laisse mon subconscient faire le vrai voyage : celui qui me conduit au plus profond de mon être pour trouver le vrai Denis LeBlanc et le monde spirituel qui l’habite. Selon moi, je l’avoue, ce paradis caché n’est pas un endroit physique. C’est un état de conscience, une autre façon de voir la création. Pour parvenir à cet état de conscience, cela exige de développer sa sensibilité, sa capacité de percevoir au-delà des apparences ». Dans notre société où il y a de moins en moins de place pour vivre et surmonter une crise existentielle et une période de transition (deuil, divorce, retraite, etc.), le pèlerinage de Compostelle agit pour certains comme un rite de passage, un exutoire à toute fragilisation identitaire en l’associant à la réussite d’une épreuve, d’un exploit, d’une mise en récit. Certes, le journal de Leblanc n’en constitue à sa façon qu’une illustration parmi d’autres, mais comme il est écrit par un précurseur qui a inspiré bon nombre de Québécoises et de Québécois à pèleriner sur le mythique Camino à la fin des années 1990, peut-être, au demeurant, méritait-il d’être publié.
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