Comme le souligne Sébastien Vincent dans son essai Ils ont écrit la guerre (VLB, 2010), rares sont les Canadiens français qui ont témoigné de leur expérience de soldat durant la Seconde Guerre mondiale. La raison évoquée est l’impossibilité, pour plusieurs, de communiquer l’horreur vécue ou même d’y replonger pour la décrire. Ce qui fait du Journal de guerre du lieutenant J. S. Benoit Cadieux un document exceptionnel tant pour l’historien que pour celui ou celle qui cherche simplement à comprendre. Il s’agit ici d’extraits choisis par le même Sébastien Vincent et Françoise Cadieux, la fille de l’officier d’artillerie.
Arrivé sur les côtes de la Normandie en juin 1944, peu de temps après le débarquement, Cadieux a participé à la campagne de libération de l’Europe de l’Ouest. Ces « mémoires » – ainsi nomme-t-on son journal – présentent au jour le jour l’avancée des troupes sur les sols de la France, de la Belgique, de la Hollande et de l’Allemagne, mais aussi, évoquent les douleurs et désagréments quotidiens de celui qui doit vivre terré dans les tranchées : le froid ou la chaleur écrasante, l’inconfort, l’eau qui s’infiltre partout, les nuits à chercher le sommeil sous le vacarme des bombes, la mort qui guette. La mort est en effet si proche, le lieutenant manque si souvent de mourir, qu’on finit par s’habituer à ces scènes d’angoisse, comme s’il s’agissait des péripéties – répétitives et peu imaginatives – d’un roman. Est-ce ainsi pour celui qui pense pour la centième fois, alors qu’un obus siffle au-dessus de sa tête, que ce sera son tour ? Il semble bien que non, la proximité de la fin est toujours ressentie avec intensité, et les mots semblent bien peu de choses pour l’exprimer.
Le diariste s’épanche toutefois très peu. Sans être écrit dans un style télégraphique, le journal relate avec sobriété les événements importants, les difficultés ; les émotions « négatives » qu’ils génèrent n’y ont pas leur place. On est même étonné de l’optimisme du lieutenant, mais son moral de fer vient peut-être du fait qu’il se savait à l’époque dans le clan des gagnants, les Allemands perdant sans cesse du terrain. En tant que lieutenant aussi, il lui fallait « montrer l’exemple ». Ce sont ses propres paroles lorsqu’il constate à quel point l’alcool est nécessaire à certains officiers – il boit lui-même, mais sans devenir « gris ». Il se dit simple exécutant et affronte avec humilité les missions qu’on lui confie, convaincu de la légitimité de cette guerre. Il faut entendre la révolte de l’homme dans des allusions, et ainsi en est-il de la peur, de l’indignation, du profond dégoût qu’il peut ressentir à la vue des cadavres étalés sur son chemin. Un livre qui dit le nécessaire, un livre qui fut peut-être nécessaire, une sorte d’abris, à constater avec quelle ponctualité le lieutenant Cadieux s’adonne à l’écriture de son journal.