Le personnage méritait ce portrait prenant et ce traitement nuancé, pénétrant, respectueux. Joseph-Charles Taché a beau avoir la mèche courte dès son adolescence, il marque si profondément et si utilement une incroyable diversité de domaines qu’il était temps de lui rendre justice. C’est chose faite grâce à la biographie fouillée, stimulante, généreuse autant que peu complaisante que lui consacre Michèle Bernard.
L’adolescent né à Kamouraska, dans un décor où le Saint-Laurent cherche déjà à se faire traiter de mer, s’ennuie au Séminaire de Québec et le fait savoir. Parvenu au stade des études supérieures, il obtient pourtant sans soubresaut son diplôme de médecin. À peine aura-t-il le temps de tester son art à Rimouski que le destin lui fait emprunter un premier détour. Lors d’un quasi-naufrage sur le fleuve, il manifeste une telle générosité à l’égard des vies que menace la tempête qu’on le presse d’assumer un rôle politique dans la municipalité. Il met le doigt dans l’engrenage et le voilà tour à tour échevin, maire, député. Comme si ses occupations de médecin à Rimouski et de député siégeant à Montréal ne lui suffisaient pas, Taché devient à 28 ans directeur de la Société d’agriculture du Canada-Est. Peu après, ajoutant une autre corde à son arc, il rédige son Esquisse sur le Canada considéré sous le point de vue économiste, ce qui lui vaut le poste de commissaire général du Canada à l’Exposition universelle de Paris. Il en ressort avec les plus grands honneurs. Sa longue absence distend ses liens avec la politique active, mais Taché en profite pour manifester quelques autres talents: il dirige Le Courrier du Canada, devient membre du bureau des Inspecteurs des Asiles et Prisons de la province du Canada, participe à la fondation de la revue Les soirées canadiennes, devient sous-ministre de l’Agriculture et des Statistiques à Ottawa, élabore un texte sur le fédéralisme dont s’inspirera la Confédération de 1867, établit les règles du premier recensement, rédige des contes, entre en conflit avec Casgrain à propos de droits d’auteur, et quoi encore ?
Sans lourdeur aucune, Michèle Bernard rend patente la fabuleuse polyvalence de ce Pic de la Mirandole local. Homme de conviction, allergique à la contorsion et à la servilité, résolument ancré dans la perspective ultramontaine, Joseph-Charles Taché est ici saisi sur le vif : ce qu’il touche, il se l’approprie, le renouvelle et le restitue à son peuple dans une synthèse qui favorise la durée, la transparence, la gestion. Belle biographie d’un méritant.