Beaucoup de « critiques » écrivent sur les chansons du musicien pour conclure qu’il n’y aurait rien à y comprendre ; Nadia Murray procède inversement et donne du sens aux paroles du protagoniste de « L’amour est sans pitié ».
Cette étude qui dérive d’un travail universitaire montre la multiplicité de l’univers de Jean Leloup, qui serait non pas un caméléon changeant d’un disque à l’autre, mais plutôt une mygale. L’artiste se renouvelle sans cesse et de ce fait devient un inclassable qui tisse sa toile, pour poursuivre dans la veine allégorique : « Entrecroisant absurdité et lucidité, extravagance et simplicité, provocation et réserve, il change de ‘peau’ d’une époque à l’autre, retravaillant incessamment son éthos […] ». En théorie littéraire, l’éthos inclut la manière pour un artiste de créer son imaginaire et de s’y inscrire sous des formes multiples et transformées, car on sait depuis Rimbaud – et avant lui Aristote – que « Je est un autre » ; autrement dit que le « Je » employé dans les œuvres ne correspond pas systématiquement à l’auteur lui-même, mais plutôt à l’un de ses avatars, à ses métamorphoses, à ses masques, au fruit de son imagination. Ici, le concept de l’éthos sera le fil conducteur de cet essai, et sera compris comme un alter ego mis en scène par l’artiste de diverses manières : « Cette multiplicité de voix qui filtrent du texte semble au final la meilleure façon d’aborder l’éthos d’un Leloup dont les chansons sont, en soi, polyphoniques ». Une chanson de Jean Leloup est souvent percevable comme une œuvre ouverte, au sens où l’entendait Umberto Eco en 1962, et le texte servira à la fois de point de départ mais aussi de destination, selon chaque auditeur. En fin de volume, on compare Jean Leloup à d’autres artistes ayant connu divers cycles musicaux – et des périodes de réclusion – comme Bob Dylan, bien que chacun conserve son unicité.
Jean Leloup : Le principe de la mygale est la première monographie consacrée au chanteur, après trois décennies de carrière. Il était temps. En France, un auteur-interprète de sa trempe aurait déjà eu droit à quelques études, ne serait-ce que pour expliquer son univers poétique excessivement anglicisé. Pour apprécier pleinement Le principe de la mygale, il faudrait absolument avoir en mémoire presque toutes les chansons du compositeur, même les plus obscures et celles de ses débuts. Musicalement, on fait référence aux rythmes, à l’instrumentation choisie, aux sonorités, mais trop peu au choix des accords, qui sont pourtant la signature mélodique de Jean Leloup. Ses passages fréquents d’un même accord joué en majeur, puis en mode mineur, parfois d’une manière qui contredit les règles de solfège quant aux tonalités, comptent pour beaucoup dans des pièces emblématiques comme « I lost my baby », où ils produisent un effet mélodique imprévisible, inusité. Mais cette lacune (d’importance secondaire) apparaît inévitablement dans presque toutes les recherches littéraires essentiellement axées sur le texte et se bornant à la discipline de l’analyse du discours.