Ce n’est pas d’hier que dans l’écrit se font entendre des inflexions venues de l’oralité. Les fleurs de la grande littérature ne dégagent parfois aucun parfum. Tout innocentes, celles de champs, n’ayant rien d’artificiel, semblent fournir un certain modèle à la littérature. Fénelon les préférait à « celles des plus somptueux jardins ».
Parler, écrire évoque à nos yeux un miroir dans lequel le monde se réfléchit. Songeons au mot de Stendhal : « Un roman est un miroir qui se promène sur une grande route ». Ce qui est vu devant soi ou perçu au-dedans de soi constitue un référent, un monde auquel renvoient les actes de parole et d’écriture. L’écrit nécessite un apprentissage préalable des plus complexes permettant parfois d’atteindre ce que nous appelons le naturel de l’expression. Ainsi, formuler quelque chose ne nécessite pas qu’à chaque étape de l’élaboration d’un dire soit entreprise parallèlement une étude approfondie de tout ce qu’implique la sorte d’horlogerie qu’est le langage. Chez qui écrit, la conscience de ce que présuppose techniquement le fait d’écrire finit en quelque sorte par être reléguée à l’arrière-plan. L’acquis devient l’équivalent de l’inné. Une analogie illustre cela : un marcheur peut tout ignorer de l’anatomie du corps humain. De même, la motricité du discours n’implique en rien de la part des locuteurs qu’ils possèdent un bagage de connaissances d’ordre linguistique.
Il en va autrement lorsque vient le temps d’écrire Jean dit, car ici intervient un acte de mimétisme et de quasi-traduction. À tout le moins de translation, le parler étant transposé dans l’écrit. Le poète pour écrire Jean dit doit passer par une forme de méconnaissance. Il s’agit pour lui de faire fi d’un savoir, alors que pour Jack Kerouac, à qui rend hommage et est dédié ce recueil de 111 courts poèmes, c’était plutôt un certain savoir qui manquait à l’appel. Pour cet écrivain « moitié Canuck et moitié Yankee », écrire en français s’accomplissait en sens inverse : non à partir d’un non-respect volontaire des règles admises en matière de grammaire (afin ici de rendre un semblant d’oralité), mais en s’élaborant depuis l’acquis rudimentaire transmis par « mémère », l’un des personnages du recueil – sans doute une femme illettrée. Kerouac n’avait pas appris le français sur les bancs d’école. Qu’on en juge par soi-même. « Je commençait à voire des morceaus de la mort dans des scenes comme ça. J’voula allez chez nous dans mon beau lit. Ou est cette lit aujourd’hui ? » (Propos cités en épigraphe.)
Le recueil de Maxime Catellier vaut amplement le détour. Il s’ouvre sur un avant-propos où l’écrivain présente son projet tout en abordant la question de la langue : « Parle, parle, jase, jase. Ce qui fait qu’une langue chante, c’est le rythme avec lequel elle rebondit entre les mots. Son rapport à l’oralité n’est pas accessoire : il s’agit de la pierre d’assise de sa poétique ». Les poèmes de Jean dit ressemblent à « l’idiome du jazz » ; ils empruntent, nous dit l’auteur, aux conversations tenues « dans la langue de notre joual » comme entendu dans nos tavernes ou autres lieux populaires. Ce sont pour la plupart des poèmes qui font part d’une remarquable inventivité. La fantaisie est ici au rendez-vous. S’ils ne sont pas tous facétieux, au milieu de leur jonglerie où s’immisce par moments un brin d’absurdité, nombre d’entre eux sont empreints de gravité. « Sur le chemin / entre la maison / pis l’école / une montagne / de mensonges / se dresse / pis on ne sait pas / de quel bord / elle a commencé. »
Les poèmes de Catellier sont suivis d’une lettre de Dany Laferrière. Certes, elle n’est pas étanche la frontière séparant la parole de l’écrit mais, non sans habileté, tel un ingénieux passe-muraille, le célèbre académicien parvient à se glisser dans le livre de Catellier en s’accordant au ton de l’ensemble. C’est là un autre tour de ce brillant prestidigitateur.