Certains textes apparaissant en quatrième de couverture étonnent, parfois par l’enflure du propos, parfois par l’hermétisme qui s’en dégage et qui, sans doute, cherche à titiller l’esprit du badaud qui saute d’une couverture à l’autre comme on le fait, à d’autres moments, d’une plage d’un disque compact à l’autre. Ce livre vaut-il qu’on s’y arrête vraiment ? Qu’on y consacre quelques précieuses heures de nos vies déjà remplies par le trop-plein ou le vide de nos existences effrénées ? Sans nul doute. Le propos est d’emblée énoncé avec clarté, et la plongée qui s’ensuit ne décevra pas le lecteur attentif aux subtilités sociolinguistiques que l’auteur se plaît à dépeindre avec un plaisir constamment renouvelé, un plaisir méticuleux, voire malicieux dans sa recherche du détail qui transforme une banalité du langage en perle de culture. « Traquant les apparentes banalités de nos discours, nos petites phrases toutes faites, Philippe Delerm révèle pour chacune un monde de nuances, de petits travers, de rires en coin. »
Un seul bémol à ce programme, qui autrement respecte parfaitement ce qu’il annonce : s’y esquissent davantage de sourires en coin que n’y déferlent d’audibles rires. La moquerie, pour opérer sans charcuter les ego, doit se faire en douceur, avec subtilité. Ce dont sait faire preuve Philippe Delerm. Certaines des petites phrases qui en disent long répertoriées ici pourraient figurer dans un sottisier, mais le projet d’ensemble se révèle plus riche tant par la juxtaposition parfois curieuse de certains mots, du choc sémantique qui s’ensuit, que par la réalité qui, soudainement, surgit. À tort ou à raison, je n’ai pas perçu dans la démarche de Philippe Delerm, amoureux incontesté de la langue française, une attitude grammairienne en quête de fautes à dénoncer, voire à bannir de l’usage de locuteurs fautifs. Le titre du recueil de textes rassemblés ici loge à l’enseigne du plaisir et de l’étonnement : Je vais passer pour un vieux con… en vous avouant candidement mon étonnement. Philippe Delerm a ici l’élégance d’assumer la responsabilité de son étonnement en déclinant le titre à la première personne. La source de la surprise causée par ces petites phrases en apparence inoffensives est ici multiple : un message laissé dans une boîte vocale, un avertissement à l’intention de la clientèle, une formule de politesse, une autre livrée sur le ton de la confidence, une invitation à agir de telle ou telle manière, voire de simples mots communs captés dans l’espace public. Chaque fois, avec le soin minutieux qu’on lui connaît maintenant, Philippe Delerm décortique l’expression comme on le ferait d’un fruit pour en extraire toute la saveur, parfois acidulée, mais le plus souvent délicate. À lire de la même façon : quartier par quartier.