Trente-trois nouvelles consacrées au couple, et autant de scénarios qui témoignent de sa fragilité. Des couples qui se font et se défont, sans grand débordement d’émotions. Dans quelques cas, c’est la mort de l’un qui y met fin, comme dans « L’enterrement». Le soir de l’enterrement de sa femme, Edmond suit sa routine habituelle.« Sauf qu’Armande était absente. Il allait pouvoir tousser et ronfler à son aise. »Le nouvelliste saisit la plupart de ses personnages au mitan de leur vie et visite des bribes de leur passé. Ils ont quitté un conjoint ou ont eux-mêmes été abandonnés, plus d’une fois. Ils sont à la recherche d’une nouvelle relation, viennent d’en entamer une, ou choisissent, comme Edmond, le confort de ne pas avoir à composer avec quelqu’un d’autre. Le désir d’enfant s’est rarement manifesté dans ces couples et, quand il y a enfants, ils sont maintenant grands et ont fui leur famille le plus loin possible en ne maintenant qu’un contact ténu, un téléphone pour annoncer une naissance, un décès, une carte de Noël, et encore ! Ce n’est pas que l’on se dispute chez ces comptables, ingénieurs, avocats, représentants de commerce, etc., certes non ! On se parle, pour le nécessaire, ou l’on fuit. Quelques rares personnages échappent à l’indifférence ou au désamour, comme Rémi, dans « Italiens et Amérindiens », qui« allait lui dire qu’il s’apercevait que le temps de la passion parvenait à son terme et qu’il était heureux que Claudia fût toujours là. Était-ce finalement la naissance de l’amour ? Il découvrirait un jour les mots pour le dire ».
En dépit du caractère grave du thème, le ton des nouvelles demeure léger. Ironie (« Tous des obsédés »), sensualité et humour(« Je regarde les femmes » et « Mon physique ») traversent le recueil. Fin observateur, Naïm Kattan multiplie les angles de vision, cerne des situations et caractérise ses personnages par petites touches, en restant toujours à distance, créant ainsi un effet de détachement, de désinvolture même. Il laisse au lecteur le loisir d’interpréter, quoique son épigraphe au début du recueil propose une orientation. Mais la citation en exergue, tirée de l’Ancien Testament (Livre de Ruth, 3,14) garde une part de mystère.
L’écrivain originaire de Bagdad a reçu le prix Athanase-David, Prix du Québec 2004, pour l’ensemble de son œuvre. Je regarde les femmesqui vient s’y ajouterillustre bien la qualité d’écriture de Naïm Kattan.