En refermant Je me voyage, j’éprouvais un profond sentiment de gratitude envers la vie pour avoir prêté existence à Julia Kristeva. À cette personne éblouissante, dont l’œuvre et la biographie démontrent le lien inextricable qui unit intelligence, connaissance et culture, quand ces trois fondements de l’histoire humaine sont sources d’essor et de dépassement, et non d’ensevelissement dans la haine et les guerres qu’elle suscite.
Julia Kristeva a eu la chance de naître et de grandir dans une famille qui attachait plus d’importance à la richesse intellectuelle qu’aux biens matériels, tout en appréciant ceux-ci à leur juste valeur, celle qui, justement, permettait de se libérer des besoins immédiats. Son premier éblouissement, alors qu’elle était à peine âgée de trois ans, a été la réponse de sa mère à la question posée sur ce qui était la plus grande rapidité des moyens de transport. « C’est la pensée », avait répondu celle-ci.
Julia Kristeva est l’épouse de Philippe Sollers, le penseur et, donc, l’écrivain typique du XXe siècle, puisque la pensée est au cours de ce siècle le socle des grandes œuvres dont celles des Sartre, Proust, Camus, Beauvoir, Gary, Duras, Barthes et tutti quanti, sans oublier nos Hubert Aquin, Louky Bersianik et Victor-Lévy Beaulieu.
Je me voyage est l’œuvre d’une fulguration durable, éprouvée dès son arrivée à Paris, alors qu’elle était dans la jeune vingtaine et qu’elle a eu la chance d’être immédiatement intégrée dans le groupe des intellectuels de « Tel quel ». Cette fulguration est la découverte sans cesse renouvelée et approfondie, bouleversante, de l’immense richesse de la culture française, depuis Villon jusqu’à Mallarmé, depuis Montaigne jusqu’à Lacan, depuis Molière jusqu’à Jouvet.
Il n’est pas un sujet qu’elle n’aborde sans le situer dans son contexte historique, scientifique, culturel. La lire, c’est pour ainsi dire découvrir ou revisiter le monde.
Kristeva est la psychanalyste la plus connue et appréciée de notre monde actuel. On dit même qu’elle en est la plus grande intellectuelle. C’est également une féministe engagée. On peut lire sur Wikipédia qu’en 2008, elle a créé à l’occasion du 100e anniversaire de la naissance de Simone de Beauvoir le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes, récompensant l’œuvre et l’action de personnes contribuant à promouvoir la liberté des femmes dans le monde.
Avant tout, Kristeva est une femme d’une belle vitalité, une grande amoureuse et une mère attentive, dévouée à son fils David, souffrant d’une légère déficience mentale.
Malheureusement, et c’est non seulement déplorable, mais incompréhensible, en ce temps de diffusion illimitée des savoirs, Kristeva ne connaît pas le Québec. Pourtant, elle est l’invitée principale de multiples conférences et colloques des institutions américaines du nord-est des États-Unis, nos voisines et inspiratrices.
Nous ignore-t-elle parce qu’on l’ignore ? J’ose croire que non, la plaçant au-dessus de ces mesquineries. Il n’empêche que sa méconnaissance de l’existence d’une importante nation de langue et de culture françaises en Amérique me trouble. Peut-être est-ce son interlocuteur, un psychanalyste dénommé Samuel Dock, qui dans son ignorance de ce qui ne relève pas strictement de l’institution psychanalytique française a oublié de l’orienter vers d’autres cieux.
Pourtant, on peut lire sur la quatrième de couverture de l’ouvrage : « Par delà la genèse d’une œuvre et de sa philosophie, c’est une vitalité existentielle, à l’affût des mutations historiques de notre monde, que nous communiquent ces Mémoires sous forme d’entretiens ».
L’édition est riche, comprenant neuf pages de photographies inédites montrant l’auteure avec sa mère, son père, sa sœur, puis avec Sollers et leur fils. Aussi avec des personnalités qui ont reconnu immédiatement la valeur immense de son œuvre : les Václav Havel et Benoît XVI, pour ne nommer que ceux-là, sans pourtant oublier le prince de Norvège qui lui remet, en 2004, le prix Holberg, ni non plus Jacques Chirac, qui lui remet l’ordre du Mérite, la même année.
Bref, Je me voyage est un ouvrage à lire pour la richesse des connaissances qu’il relève et révèle, qui ont marqué l’imaginaire du XXe siècle. Donc sa créativité.
Je veux souligner, en conclusion de ce texte, que Kristeva n’est pas qu’une théoricienne et praticienne de la psychanalyse, mais une grande romancière, auteure, entre autres, de L’horloge enchantée paru en 2015.
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