Quand la douleur emporte tout et que le corps ne tient plus la route, reste la poésie. Pour accepter, pour surpasser ce qui écrase, pour s’enfarger, tomber, se redresser. Pour s’élever plus haut.
Trois citations ouvrent le premier recueil de poèmes de Geneviève Dufour, autrice et performeuse de la relève de Québec. Les mots de Marie Uguay, d’Isabelle Dumais et de Frédéric Dumont invitent à entrer dans le mouvement, à aller vers l’extérieur. Un état d’éveil, de réception au monde, s’installe dès le premier poème, même si ce qui se présente est fait de larmes, de poussière, de lourdeur, de cris. D’entrée de jeu, la narratrice est bouleversée, bousculée par ce qui l’entoure : « tout est trop […] dehors cogne j’écoute ». C’est un peu le bruit de ce trop qu’elle fait défiler sous mes yeux, tout au long du recueil.
Le vertige du titre se dévoile comme un spectre blotti dans le cou de la narratrice. Il est toujours là, au sens littéral, et non métaphorique. Il entache les jours, le caractère ; il en vient à faire disparaître l’identité même de celle qui raconte. Le monde tourne autour d’elle, trop vite, vertigineux lui aussi, à tel point qu’il en devient difficile à suivre. La poète se demande pourquoi on s’inflige ça, ces courses sans fin, dans des costumes qui étouffent. Curieusement, une sensation d’immobilité se dégage des poèmes. Un peu comme si l’autrice regardait la vie passer, emprisonnée en elle-même, incapable d’en sortir. Elle cherche des lieux où elle sera intouchable, des espaces où se reconstruire sera possible pour qu’elle puisse ensuite revenir vers l’extérieur, vers le mouvement, s’évader, être emportée.
Si une image est frappante et revient à plusieurs moments charnières du livre, c’est celle de la mère. D’ailleurs, la poète dédie ce recueil à la sienne. Cette figure est évoquée dans la détresse, comme présence protectrice ; elle seule peut, peut-être, venir à bout des souffrances. Elle seule peut consoler, redonner force et espoir et courage à une narratrice souvent écartelée, fragmentée par ses douleurs, à cette « fille qui dort / assise dans la poussière ».
Sans jamais nommer précisément quel mal l’attaque, Geneviève Dufour en écrit les contours de manière prenante. La peur s’installe, lorsque la douleur, trop puissante, entraîne avec elle déconnexion, détachement de soi : « lorsque je perds ma tolérance / je me volatilise ». Tout au long de la lecture, les sens sont sollicités, le corps est bousculé, des bruits agressent, perturbent, des claquements font sursauter, des chocs viennent briser la quiétude physique et mentale recherchée, celle durement gagnée : « au plus creux des commotions / je consomme le ciment/comme une routine ». La lourdeur est pratiquement le pain quotidien de la narratrice. À travers cette pesanteur, la poète n’a d’autre choix que d’embrasser la lenteur pour retrouver paix et calme.
En quatrième de couverture, je lis : « Car il n’y a pas d’existence sans chute ». La possibilité de tomber est là, elle attend dans le détour, indéniablement, « si tu vis trop / tu meurs », comme la poète l’écrit si bien. Par moment, à travers certains poèmes, on la dirait presque souhaitée, cette grande tombée salvatrice. Le premier recueil de Geneviève Dufour invite les lectrices, les lecteurs, à aller plus loin que la souffrance physique. Elle conduit au cœur de la chute, avec ses emportements, ses écrasements bruts au sol, ses chocs et ses remontées sublimes ; elle est la promesse même du plus bel atterrissage.