Demeuré seul sur l’île de La Vaurély, un régisseur septuagénaire continue d’entretenir les biens dont il s’occupait déjà quand l’endroit était peuplé de riches propriétaires. L’unique contact qu’il conserve maintenant avec le monde extérieur demeure celui des corps que la mer dépose sur le rivage, auxquels il donne une sépulture décente.
Il y a quelques années, plusieurs familles de milliardaires résidaient sur l’île à la belle saison, répétant : « [N]ous avons créé un Éden durable ». Puis, il y a six ans, l’ancien pêcheur natif de l’endroit, devenu croque-mort par obligation, a reçu le dernier texto de l’une d’elles annonçant son arrivée, jamais avenue. Quel événement apocalyptique a donc eu lieu sur la terre ferme ?
Si l’écrivain français Mouloud Akkouche ne nomme pas le protagoniste de son conte, le cimetière que ce dernier peuple de dépouilles inconnues s’appelle le Jardin des oubliés, d’où le titre. Sur chacune des tombes que creuse le vieil homme, celui-ci installe « une plaque métallique, sur laquelle [sont] gravés la date d’arrivée et le lieu d’échouage » du noyé. « Des Blancs, des Noirs, des Jaunes, des métisses. De tout âge et sexe. Parfois un signe religieux. » Un jour, ô surprise, l’un d’entre eux est vivant. Une jeune femme.
« Impossible ! Il répète ce mot du bout des lèvres. Encore une hallucination ? » Le vieillard va recueillir et soigner la survivante qui ne parle pas sa langue, qui semble sans passé et sans identité.
Une certaine collaboration s’établira entre l’amnésique mutique et le régisseur qui continue d’entretenir à La Vaurély les luxueuses villas demeurées vides, chacun d’eux restant sur son quant-à-soi. Enceinte d’on ne sait qui, la rescapée donnera naissance à une petite fille dont elle ne s’occupera guère. Ce sera elle, cette enfant sans nom, qui, en grandissant, prendra éventuellement le relais du vieil ermite, et deviendra la protagoniste de la deuxième partie du conte d’anticipation.
De rares élans de tendresse uniront le marin bourru, la femme sans mémoire et l’innocente fillette, dont la curiosité s’exprimera peu à peu. « Une solitude comme une ombre protectrice. Rien ne pouvait m’arriver sur l’île. » À son tour, elle connaîtra des journées bien remplies, effectuant de lourdes tâches routinières : « [T]ravailler sans relâche. Avec la volonté de m’épuiser. Ne vivre qu’à travers mes gestes ». Un jour, l’attrait de l’ailleurs sera plus fort qu’elle, et même si l’île est ceinturée de dangereux récifs rendant la fuite par bateau presque impossible, elle tentera sa chance.
Mouloud Akkouche, auteur toulousain reconnu depuis 1997 pour ses romans policiers, s’est changé en écrivain humaniste et aborde un nouveau registre avec le Jardin des oubliés, un récit philosophique, énigmatique, presque un poème en prose. En ces jours où la terre connaît une recrudescence du nombre de noyades des réfugiés politiques, économiques ou climatiques, l’étrange danger qui rôde à La Vaurély est nettement de portée universelle.