Que les genres littéraires, s’ils y tiennent, se disputent ce fascinant retour en arrière, mais qu’ils se sachent d’avance condamnés au compromis. Olivier Todd intervient si intensément dans le récit que l’autobiographie aurait de valables raisons de revendiquer le livre comme sien. L’histoire pourrait en dire autant : les années de la guerre 1939-1945 occupent si nettement le cœur de l’ouvrage que contemporains et publics nés par la suite reconnaîtront ici, dans ses priva tions et sa douleur, le Paris de l’Occu pation allemande, celui de la collabo ration croisant celui de la résistance. L’essai peut, lui aussi, réclamer sa part tant Todd suscite et alimente la réflexion sur l’aptitude des mémoires humaines à choisir, à élaguer, à absoudre ou à condamner au gré de l’éducation, des affections et des connivences. Le couple incertain dont Todd retrace la brève existence n’aura existé comme tel que quelques jours et surtout quelques nuits. L’officier allemand et la résistante juive retournent ensuite à des trajectoires autonomes. Le travail de Todd consiste à reconstituer cette double suite des cho ses. Par leur abondance et les doutes qu’elles expriment, les notes de l’officier allemand reçoivent et méritent l’attention et le respect plus que les laconiques dénégations et les esquives de l’héroïne. Peut-être parce qu’elle s’est heurtée à un machisme qui fleurit dans les mouve ments révolutionnaires comme dans les conseils d’administration, la fringante résistante se montre rebelle à toute évocation de sa relation avec son ancien amant. Le passé est bien où il est, semble-t-elle signifier. La mémoire de l’officier allemand accepte de s’interroger. De quel droit l’invasion avait-elle asservi Paris ? La politesse et la culture des occupants rachetaient-elles les brimades négligem ment assenées aux autochtones ? Invo quer comme une gloire le nombre de bouquins publiés en France pendant la guerre, n’était-ce pas masquer la censure, les maquignonnages, les faveurs accor dées aux collabos plutôt qu’aux résistants ? Ces années, Todd les situe dans un arrondissement parisien imprégné d’his toire, de beauté, de présence institu tionnelle. Le jardin du Luxembourg invite aux marches amicales et aux conver sations discrètes. Les auteurs s’y confient projets et déceptions. Les fontaines y feutrent les critiques qui, autrement, rejoindraient des oreilles susceptibles. Par ses souvenirs copieux et racés, par la sérénité dont il enveloppe le rappel des temps guerriers et soupçonneux, Olivier Todd fait œuvre d’humaniste : l’homme est émouvant quand il se reconnaît fragile, mal renseigné, grégaire et pourtant capable de compassion tardive.
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