Quand un déficient s’avise de tenir son journal, le risque est grand de voir déferler le misérabilisme, surtout si le Sylvain en question est, de surcroît, muet. Avec François Barcelo aux commandes, on navigue à réconfortante distance de cet écueil. Comme d’habitude, l’humour est là, mais il s’exerce non pas contre le sympathique démuni, mais contre tous ceux qui lui rendent la vie inintelligible. Sylvain ne comprend que le plus obvie, mais le lecteur, lui, voit bien que le système ne traite pas de la même manière toutes les personnes qui demandent une greffe d’organe, que les magouilles trouvent partout un terreau favorable, que bien peu se font scrupule d’exploiter une main-d’œuvre sans défense. Sylvain voit et raconte.
Comme le titre en témoigne, les mots et les clichés subissent, pour notre plus grand plaisir, le traitement Barcelo. Sylvain, en effet, comprend souvent autre chose que ce qui est dit. Il retient les sons, déforme sans savoir et confie à son étonnant journal de savoureuses variantes des expressions courantes.
Merveilleux conteur, Barcelo fait soupçonner à quoi se résume la vie de Sylvain. Dans un système qui endort la conscience en ménageant à des déficients de petits emplois artificiels et méprisés, Sylvain est celui qui met les réponses affirmatives dans une série d’enveloppes et les négatives dans l’autre série. C’est tout. Mais il note ce qu’il voit, éprouve un imperceptible étonnement et perce enfin le mystère de sa vie. Un livre joyeux et drôle. Et pourtant émouvant.