Il est difficile de placer une étiquette sur Mario Girard (à l’intention de ceux et celles qui ne le sauraient pas déjà, Marie Auger et Mario Girard sont un seul et même auteur, auxquels il faut ajouter Mario G., ce qui fait qu’ils sont trois en un) ; et je ne tenterai pas de le faire, bien que certains aient évoqué le fantôme de Réjean Ducharme et que d’autres aient entrevu un parallèle entre J’ai froid aux yeux et La petite fille qui aimait trop les allumettes, roman qui semble en voie de devenir la référence ultime au Québec dès qu’un jeu de mots se pointe le nez dans un texte, ce qui, avouons-le, tournera bientôt au ridicule, sinon à l’absurde. Quelles que soient ses influences, perceptibles ou non, Mario Girard n’en possède pas moins une originalité qui vaut le détour et une maîtrise de la langue qui lui a permis de créer un univers n’appartenant qu’à lui.
Dans J’ai froid aux yeux, Mario Girard prête cette fois la parole à une jeune femme d’âge indéterminé qui tente de faire face au choc provoqué par le suicide de sa mère en s’enfermant dans le frigo, refuge qu’elle quittera de temps à autre pour dire sa façon de penser au cadavre de la défunte qui gît toujours sur le plancher de la cuisine. Ajoutons à cela que le décès a lieu le jour de l’Halloween, que la narratrice est asthmatique et que, au gré de ses réflexions, elle se métamorphosera en ourse polaire, et nous aurons pour ainsi dire une vague idée du décor et de la trame de ce roman que je n’ai pu me résigner à voir comme une métaphore, tant il apparaît dans l’ordre des choses que la narratrice élise domicile dans le réfrigérateur. Dès le départ, un fait est donc posé, indéniable, « Pauline, Cécile, Ophélie, Célosie, c’est comme on veut » a bel et bien décidé de refermer sur elle la porte du frigo pour ne pas avoir à affronter une réalité qu’elle ne peut admettre. Ce qui n’empêche pas Mario Girard de multiplier les métaphores, de les travestir au passage en jeux de mots, d’avoir recours à maints glissements sémantiques qui tentent d’attraper au vol quelque bribe de vérité qu’un abord net et direct de l’expression aurait pu laisser passer, de détourner la phrase au profit d’un certain humour mais, aussi, d’une poésie qui ne parvient pas toujours à cacher un certain désarroi sous l’apparente légèreté du texte ; car, malgré l’extravagance de la situation, nous sommes véritablement en présence d’un drame.
Mario Girard sait donc imposer à son texte un rythme où le mot se balance sans cesse sur une corde raide, et même si je dois admettre qu’il force un peu la dose en ce domaine, cet auteur a le don particulièrement rare de vous déculotter une expression sans la rendre pour autant obscène et sans tomber dans la facilité, ou si peu, tour de force sur lequel devraient prendre exemple certains de nos humoristes. Mais, heureusement pour nous, Mario Girard n’est pas un humoriste, même s’il nous fait parfois rire. Mario Girard est un écrivain qui, à mon humble avis, n’a pas assez de lecteurs. Je n’ai pas fait de sondage ni de recherche à ce sujet, je sais seulement, d’instinct, qu’il devrait en avoir plus, des bons et des mauvais ; quand ça s’écrème, il en reste toujours quelques-uns.