À aucun moment il n’est question d’elle, mais son ombre plane sur chacune des pages de ces carnets écrits au fil des jours, tantôt dans la solitude qui prédispose à la contemplation de la nature, à l’introspection préalable à la création, tantôt dans le tumulte des occupations professionnelles de l’écrivain, de l’homme de théâtre qui doit chaque fois redessiner les contours de la réalité écrite par d’autres. Robert Lalonde partage avec Flannery O’Connor, la grande dame de la littérature américaine, trop tôt disparue, une rare qualité de présence au monde qui aiguise le regard et le plaisir, celui que l’on prend à suivre les volutes de fumée, comme la terrible angoisse de savoir qu’un jour on sera privé de ce plaisir. Tout se joue entre ces deux instants, plus ou moins longs selon la courbe de chaque vie, plus ou moins intenses selon la prédisposition de chacun à s’y abandonner. Le monde de Robert Lalonde, aussi complexe et parfois tourmenté que celui de Flannery O’Connor, aussi vaste que celui d’Annie Dillard, s’inscrit dans chaque battement de vie, et tente d’opposer à la fugacité de toute chose le rempart de visages connus, familiers, ceux du père et de la mère, comme ceux d’amis très chers avec qui le partage de souvenirs remontant souvent à l’enfance permet un instant de croire à sa propre éternité.
L’écriture épouse au plus près le mouvement de la vie, son rythme, sa respiration, son halètement. Qu’il parle de petits faits quotidiens dont toute trame humaine est composée, qu’il relate des anecdotes liées à son propre parcours, des livres qui l’ont accompagné, du théâtre et de l’écriture, Robert Lalonde le fait toujours avec intensité, avec le même souci de traduire la pluralité de l’expérience humaine, de saisir la prodigieuse complexité de toute vie.
Iotékha, c’est-à-dire « il brûle », en langue mohawk, appartient à ces livres qui sondent nos habitudes d’être, qui explorent les processus de création sous des formes diverses, ces livres où il « sera question de choses entraperçues, de la fausse fin du monde, de Dieu, des nuages, de gens stupéfiants et pourtant ordinaires, du réel ahurissant que nul n’élude, de la fumée du tabac et de certains feux, qu’on aperçoit de loin, et qui nous appellent ».